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Le "Journal" De Maine De Biran. (French Text)
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Le "Journal" De Maine De Biran. (French Text)
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INFORMATION TO USERS This material was produced from a microfilm copy of the original document. While the most advanced technological means to photograph and reproduce this document have been used, the quality is heavily dependent upon the quality of die original submitted. The following explanation of techniques is provided to help you understand markings or patterns which may appear on this reproduction. 1. The sign or "target" for pages apparently lacking from the document photographed is "Missing Page(s)". If it was possible to obtain the missing page(s) or section, they are spliced into the film along with adjacent pages. This may have necessitated cutting thru an image and duplicating adjacent pages to insure you complete continuity. 2. When an image on the film is obliterated with a large round black mark, it is an indication that the photographer suspected that the copy may have moved during exposure and thus cause a blurred image. You will find a good image of the page in the adjacent frame. 3. When a map, drawing or chart, etc., was part of the material being photographed the photographer followed a definite method in "sectioning" the material. It is customary to begin photoing at the upper left hand corner of a large sheet and to continue photoing from left to right in equal sections with a small overlap. If necessary, sectioning is continued again — beginning below the first row and continuing on until complete. 4. The majority of users indicate that the textual content is of greatest value, however, a somewhat higher quality reproduction could be made from "photographs" if essential to the understanding of the dissertation. Silver prints of "photographs" may be ordered at additional charge by writing the Order Department, giving the catalog number, title, author and specific pages you wish reproduced. 5. PLEASE NOTE: Some pages may have indistinct print. Filmed as received. Xerox University Microfilms 300 North Zeeb Road Ann Arbor, Michigan 48106 ,i ■I 75-28,611 ANKER, Marion Vera, 1926- LE JOURNAL DE MAINE DE BIRAN. [French Text]. University of Southern California, Ph.D., 1975 Language and Literature, modem Xerox University Microfilms, Ann Arbor, Michigan 48106 © c opyright by Marion Vera Anker 1975 THIS DISSERTATION HAS BEEN MICROFILMED EXACTLY AS RECEIVED. LE JOURNAL DE MAINE DE BIRAN by Marion Vera Anker A Dissertation Presented to the FACULTY OF THE GRADUATE SCHOOL UNIVERSITY OF SOUTHERN CALIFORNIA In Partial Fulfillment of the Requirements for the Degree DOCTOR OF PHILOSOPHY (French) June 1975 UNIVERSITY OF SOUTHERN CALIFORNIA T H E G R A D U A TE SC H O O L U N IV E R S IT Y PARK LOS A N G E LE S . C A L IF O R N IA 9 0 0 0 7 This dissertation, written by under the direction of h £ & c . Dissertation Com mittee, and approved by all its members, has been presented to and accepted by The Graduate School, in partial fulfillm ent of requirements of the degree of D O C T O R O F P H I L O S O P H Y Dean. DISSERTATION COMMITTEE Chairman A mon mari Kurt et a mes enfants, Dennis et Jacki i i REMERCIEMENTS Je remercie mon directeur de these Dr. George W. Solovieff ainsi que le Dr. Max L. Berkey Jr. et le Dr. Geddes MacGregor de leur aimable assistance, suggestions et conseils qui m'ont soutenue tout au long de ce travail. Je voudrais egalement exprimer ma gratitude envers Isabelle Ziegler, auteur, ecrivain et critique, ainsi qu'a mon amie Josette Bryson dont la patience infinie et la fermete d'esprit m'ont permis de mieux approfondir mes idees. Je remercie Dr. Serge Morin d'avoir bien voulu me communiquer des renseignements sur Maine de Biran et de m 1 avoir gra- cieusement envoye des documents qui ont ete indispensables a la realisation de cette these. Finalement, je voudrais exprimer ma reconnaissance envers M. Henri Gouhier pour ses aimables conseils et pour l'interet qu'il a porte a l'entre- prise de cette these. Je lui suis reconnaisante egalement d1avoir bien voulu me recevoir chez lui et de m'avoir gene- reusement facilite l'acces a la Bibliotheque Nationale de Paris. i i i TABLE DES MATIERES Page DEDICATION.............................................. ii REMERCIEMENTS ............................................. iii Chapitre I. INTRODUCTION ................................... 1 Definition generale du journal Les sources de Maine de Biran But du Journal II. LES THEMES DU JOURNAL............................ 4 4 Le bonheur L'existence La conscience La liberte La morale Conclusion III. RAPPORT ENTRE LES IDEES DE MAINE DE BIRAN EXPRIMEES DANS LE JOURNAL ET LA LITTE- RATURE ET LA PHILOSOPHIE FRAN£AISES DU XIXe S IE C L E................................. 127 Domaine litteraire Domaine philosophigue Conclusion IV. CONCLUSION........................................183 Portee partiellement negative du Journal La portee positive du Journal Epilogue Chapitre Page V. BIOGRAPHIE DE MAINE DE B I R A N ................... 203 BIBLIOGRAPHIE.............................. 207 v CHAPITRE I INTRODUCTION Le journal commence a faire son apparition litteraire a une epoque revolutionnaire autant en politique qu'en morale. La Revolution de 1789 a tente d'ecarter les con- traintes artificielles qui ont assujettis le peuple comme aussi les injustices sociales et la corruption du gouverne- ment. Les changements des gouvernements qui en suivirent temoignent de 1 1 impossibility d'etablir un pouvoir solide. L'insecurite causee par des evenements revolutionnaires 6 en France et les recherches scientifiques a la fin du XVIII siecle ont mis en mouvement une nouvelle enquete sur l'homme en general, et aussi sur l'individu dans son milieu speci- fique. D'un cote, la philosophie et les sciences, de 1'autre la litterature et les arts, refletent les efforts des sa vants et des createurs pour mieux comprendre l'homme et son ambiance. Parmi ces savants et ces artistes, il y a ceux 1 qui s'interessaient aux sciences et aux arts sans se pre- occuper d'ameliorer la condition de l'homme, et d'autres qui s'y sont attaches. Maine de Biran, bon representant de cette epoque, auto- didacte, erudit mais non pas homme de lettres dans le sens traditionnel du mot, s'etait interesse d’abord aux ideo logues du groupe "d'Auteuil";^ il poursuivait sa quete scientifique pour decouvrir la veritable essence de notre etre, notion envisagee deja par Rousseau dans La Morale sensitive ou le materialisme du sage. On y lit en effet que Les frapantes et nombreuses observations que j'avois recueillies etoient au dessus de toute dispute, et par leurs principes physiques, elles me paroissoient propres a fournir un regime exterieur qui varie selon les cir- constances pouvoit mettre ou maintenir l'ame dans l'etat le plus favorable a la vertu. Que d'ecarts on sauveroit a la raison, que de vices on empecheroit de naitre si l'on savoit forcer l'economie animale a favoriser l'ordre moral qu'elle trouble si souventl Les climats, les sai- sons, les sons, ... le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine et sur notre ame par consequent; ... [sic]^ Gilbert Romeyer-Dherbey, Maine de Biran (Paris: Seghers, 1974), p. 10. Salon de Mme Helvetius a la fin du 18e siecle ou se reunissaient les ideologues, notamment Daunou, Maine de Biran, Tracy, etc. 2 Jean-Jacques Rousseau, Oeuvres completes (Paris: Edi tion Gallimard, "La Pleiade," 1959), I, 409. Nous respec- terons toujours 1'orthographe de 1'auteur. Pour ne pas alonger la citation, nous ne mettrons qu'un seul "sic" a la fin de chacune d'elles. Depute de Bergerac, Maine de Biran connut les vicissi tudes de son epoque troublee: La Revolution, le Directoire, le Consulat, 1'Empire, et la nouvelle Monarchie, qui se deroulent tout au long de la redaction de son Journal, soit de 1793 a 1824, date de sa mort. Tres hostile a Napoleon, il occupa une haute position pendant la Restauration, mais il n'a jamais connu le bonheur dans sa carriere publique ou politique. D'ailleurs sa sante et son hyper-sensibilite expliquent le fait qu'il s'inquiete profondement de son etat moral et physique, et qu'il n'etait jamais satisfait ni de lui-meme ni du monde qui l'entourait. Dans un certain sens, comme le dira 1'auteur lui-meme, le Journal est un voyage metaphysique: Qui sait tout ce que peut la reflexion concentree et s'il n'y a pas un nouveau monde interieur qui pourra etre decou^ert un jour par quelque Colomb metaphysi- cien? ... Ce voyage part du stoicisme et arrive au christianisme pur. On y trouve un echo de la lutte interieure de Maine de Biran, comme aussi son vif interet pour le progres moral, 3 - Maine de Biran, Journal, edition complete et integrale en 3 vols., editee par Henri G. Gouhier (Neuchatel: Edition de la Baconniere, 1954), I, 176. Dorenavant toutes les ci tations prises dans le Journal de Maine de Biran porteront comme reference: Journal, le tome et le page. physique et social de l'homme. Le resultat de ses tourments profonds devaient aboutir a une oeuvre sur 1 'anthropologie ou la science de l'homme, qu'il n'a pu achever. Le Journal de Maine de Biran atteste ainsi la lutte constante entre ce qu'il est, homme victime d'une faiblesse physique inherente, et ce qu'il veut etre, homme qui peut se depasser grace a sa volonte. Nous suivons lentement le cheminement d'un etre qui veut ecarter tout ce qui entrave son esprit, et subir toutes les impressions du dehors pour atteindre 1 'absolu. Bien que le Journal temoigne d'un grand nombre de meditations et de sentiments intimes, nous nous limiterons a ne degager du Journal que les plus importantes de ses idees, celles qui sont en rapport avec ses oeuvres philo- sophiques et psychologiques ou elles sont approfondies et developpees. Notre intention dans cette these est de montrer pour- quoi et comment le biranisme s'est repandu, et en meme temps etablir l1importance de Maine de Biran dans l'histoire des idees en France. Nous ne nous soucierons pas de montrer ses idees poli- tiques, quoiqu1elles occupent une grande partie du Journal. Cette etude pourrait faire la matiere d'une autre these. 5 Definition generale du journal En tant que genre litteraire, le journal releve des ecrits intimes, ou 1 *auteur se peint plus ou moins a nu, et son enseignement ajoute au plaisir du lecteur parce que, comme nous le dit Henri Amiel, il y voit sa propre image: Dans cet eternel observateur de soi-meme, je me retrouve avec tous mes defauts: inconstance, indecision, de- couragement, besoin de sympathie, inachevement; avec mon plaisir a me voir passer, sentir et vivre; avec mon in- capacite croissante a4l’action pratique, a 1 *observa tion exterieure; ... "Le journal intime [nous dit Chapelan] s'affirme le moins litteraire des genres puisqu'il ne presuppose pas meme 5 un lecteur." Il se distingue par une absence de regies de construction et de style, comme aussi par une absence d1in vention. Cependant, il releve de la litterature parce qu'en lui convergent et se melent les tendances universelles; "echapper a la fuite du temps," nous dit Girard, raconter les evenements personnels et la quete d'une identite a 4 Henri Frederic Amiel, Journal intime (Paris: Union Generale d'Editions, 1965), p. 167. 5 Maurice Chapelan, "Maine de Biran," Anthologie du journal intime (Paris: Robert Laffont, 1947), p. 9. ^Alain Girard, Le Journal intime (Paris: Presses Uni- versitaires de France, 1963), pp. 6-7. 6 travers les meandres de la vie pour trouver une possibilite de verite. Le journal nous interesse surtout parce qu'il considere les problemes quotidiens de la vie dans le cadre d'une existence effective et non point en quelque sorte dans le vide de 1 'abstraction, de la generalisation, ou de 1'imagination. Selon la propre formule de Maine de Biran, C'est en nous memes qu'il faut descendre, c'est dans l'intimite de la conscience qu'il faut habiter, pour jouir de la verite et atteindre a la realite de toutes choses. (Journal, I, 240) Aussi a-t-il consacre sa vie a son monde intime, le Journal, pour y chercher sa propre essence. On y assiste a la naissance de toute son oeuvre philosophique. Comme Gouhier l'indique, "Maine de Biran va conduire a la fois 1 'observation de soi et l'enquete objective egalement re- 7 quises pour fonder la nouvelle morale." Ceci, Pierre Tisserand l'a justement resume: Le Journal de Maine de Biran est un des plus beaux monu ments que nous possedions de 1 'experience interieure: c'est 1 'oeuvre d'un grand moraliste, c'est-a-dire d'un grand peintre de la nature humaine.8 7 Henri G. Gouhier, Les Conversions de Maine de Biran (Paris: Vrin, 1947), pp. 47-48. g Pierre Tisserand, L'Anthropologie de Maine de Biran (Paris: Alcan, 1909) , p. xi. 7 Bref apergu historique du journal comme genre litteraire Depuis la revolution frangaise on trouve le monde en gage dans un tourbillon marque par I'angoisse, celle-ci fera surgir le romantisme, sous la forme du "mal du siecle". Ni les histoires fictives, ni l'histoire authentique ne peuvent remplir un vide que l'homme porte dans son coeur. C'est alors qu'apparait le journal comme source d'une quete interieure qui detourne 1 'attention du dehors pour mieux saisir les elans naturels de l'homme. Les origines du journal peuvent etre exactement situees dans cette epoque. D'apres Girard, Ce nouveau genre d'ecrit apparait a la charniere de deux siecles, a la fin d'un monde et au commencement d'un autre, aux alentours des annees 1800, avant l'eclo- sion romantique. Sa naissance est le resultat d'une rencontre entre les deux courants dominants qui im- pregnent la pensee et la sensibilite de 1 'epoque: d'un cote 1 'exaltation du sentiment, et la vogue des con fessions, dans le sillage de Rousseau, de 1'autre 1 'ambition des ideologues de fonder la science de l'homme sur 1 'observation, en plagant a l'origine de 1'entendement la sensation, a la suite de Locke, Hel- vetius et Condillac. (Girard, pp. ix, x) On peut relever, a travers l'histoire litteraire, des recits en forme de chronique ou confessions intitules "journal" tel que le Journal d'un bourgeois de Paris, ecrit au XV siecle. Le mot Journal a ete employe souvent par la critique pour designer des livres qu'elle croit avoir le devoir d'annoncer: Journal de Danqeau, Journal d'Argenson, et autres, car, nous dit Sainte-Beuve, "c'est qu'en effet I'on est devenu singulierement curieux de ces documents directs et de premiere main; ... en les parcourant [on 9 peut], s'y tailler 9a et la des chapitres d'histoire." Ces remarques mettent le juste accent sur le caractere commun de tous ces journaux qui constituent des materiaux et des pieces pour l'histoire. Ils se presentent sous la forme d'une chronique vecue et procurent ainsi un plaisir particulier a leurs lecteurs "en les depaysant, en les identifiant un instant a autrui, en leur faisant echapper au spectacle restreint qui se deroule sous leurs yeux" (Girard, pp. 14-15). On peut a juste titre considerer Maine de Biran comme 1'inaugurateur du genre du journal intime. Deux penchants s'entrecroisent en lui: 1 'analyse personnelle et l'elan spirituel. Reste fidele aux principes de l'ecole des ideo logues d'ou il sortit, il n'eut a l'origine d'autre ambition que de comprendre les operations de 1 'esprit, de saisir les rapports du physique et du moral, et de mieux connaitre g Sainte-Beuve, "Journal d'Olivier Lefevre d'Ormesson," Causeries du lundi (Paris: Garnier Freres, 1862), XV, 35. l'homme. Mais, soumis a d'autres courants d'idees en appli- quant 1 'observation a sa propre personne, et sous la pres- sion de son temperament particulier, il en vint a attribuer au moi et au temoignage du sens intime une valeur privi- legiee. Par l'examen de sa propre conscience il decouvrit en lui une inquietude et un emoi de nature religieuse qui lui offrirent une verite conciliable avec sa personne. De ce point de vue le Journal avec Maine de Biran de- vient l'histoire de la lutte interieure de l'homme pour concilier ses propres besoins avec ceux du monde et finale- ment pour les transcender. Composition du Journal Tel qu'il nous est parvenu, le Journal de Maine de Biran se presente sous forme de cahiers, souvenirs et agen das separes et classes par des editeurs qui se sont charges de diffuser sa pensee. Ce Journal dans sa totalite se compose des elements suivants: 1. Un manuscrit assez volumineux portant les dates de 1792 et 1795. Maine de Biran redigea cet ecrit sans 1'in tention de faire un journal, mais pour fixer ses reveries champetres et metaphysiques; il s'en servit surtout comme 10 cahier de notes et de brouillons. "'Ce cahier, ecrivait Ernest Naville, peut etre considere comme le commencement du Journal intime de M. de Biran.1"10 Il l'appela Vieux jour nal; Tisserand l'appela Premier journal; Monbrun 1'intitule Journal intime alors que M. Gouhier prefere le titre de 11 Vieux cahxer. 2. Quatre cahiers formant une serie non interrompue, dont la redaction commence en fevrier 1814, pour se terminer en 1824, soit deux mois avant la mort de 1'auteur. Manus- crit precis, que Maine de Biran appelle Journal (I, xxviii). 3. Quelques agendas de poche et un grand nombre de feuilles volantes de diverses epoques. Deux de ces agendas et quelques unes des feuilles volantes appartiennent a la periode allant de 1795 a 1814; mais on sait depuis longtemps qu'une partie du journal a ete perdue entre les annees de 10Journal, I, xxxi, Avant-propos de M. Henri Gouhier. 11Notons que M. La Valette Monbrun soutient en 1792 que le Journal de Maine de Biran commence avec ses re flexions personnelles, alors que Gouhier, qui nous a donne la nouvelle edition du Journal, precise que "ce recueil d'ecrits de jeunesse" est 1 1 introduction aux oeuvres philo- sophiques plut5t que le commencement d'un "journal." C'est la raison pour laquelle Gouhier supprime ces pages des an nees 1792 a 1794 du Journal (I, xxx). 1795 a 1814.12 Dans nos recherches nous avons trouve des controverses concernant la lacune entre ces annees. Lemay nous dit que La Valette Monbrun avait detruit une grande partie du Jour- 13 nal, peut-etre pour des raisons religieuses. Nous trou- vons egalement la constatation de Pierre Mesnard qui nous dit que ce Journal etait "'l'objet d'odieuses mutilations, touchant a la vie sexuelle de son auteur'" (cite par Girard, p. 142). Enfin nous sommes d'accord avec Girard, qui dit "quand 1 'oeuvre s'eveille, le journal se tait, et le journal renalt quand la production s'arrete" (p. 512). En effet, Maine de Biran avait consacre les annees ou intervient cette lacune a son oeuvre philosophique, a sa correspondence et, aussi, il avait joui de sa vie de famille. Gouhier nous a donne la redaction la plus complete pour cet intervalle de dix-neuf annees. Tous ces papier reunis forment un ensemble de plus de douze cent pages (Journal, I, xii et passim). 12 Ernest Naville, "Notice historique et bibliographique sur les travaux de Maine de Biran," in Maine de Biran, Oeuvres inedites de Maine de Biran, 3 vols., publiees par Ernest Naville (Paris: Dezobry, E. Magdeleine et Cie, 1859), XIV, 1. 13 - - Pierre Lemay, Maine de Biran et la Societe Medicale de Bergerac (Paris: Vigot, 1936), p. 3. 12 Gouhier, qui nous a aussi donne la presente edition integrale du Journal de Maine de Biran, apres avoir examine la multiplicite des intentions de I1auteur sur ses ecrits, a limite cette edition aux documents qui suivent le plus pres les considerations d'un journal. Il commence done avec le Journal de 1814 qu'il nous donne dans son ensemble jusqu'en 1824. Les autres documents consideres comme accompagnant le Journal, sont inclus dans le Vieux cahier, les Agendas et quelques Carnets, ainsi que les Feuilles volantes et les Pages sans date (Journal, III/ vii). Le Journal se presente sous la forme d'une conversation a batons-rompus ou comme un soliloque a mi-voix: Quand je suis seul, j1ai assez a faire a suivre le mouvement de mes idees ou impressions, a me tater, a surveiller mes dispositions et les variations de mes manieres d'etre, a tirer le meilleur parti possible de moi-meme, a enregistrer les idees qui me viennent par hasard, ou celles que me suggerent mes lectures. (Journal, I, 68) On passe sans cesse et sans raison apparente, d'une idee a 1'autre. La continuite du texte fait 1'unite materielle du manuscrit. Maine de Biran s'y abandonne a ses idees, au jour le jour; celles-ci portent toutes une date, bien qu'il y ait des lacunes la ou il laisse passer quelques journees sans ouvrir son cahier. Ce sont, comme il nous le dit, des renseignements sur la vie mondaine tels que des engagements 13 a diner soit chez des amis, ou bien des receptions d'Etat, ou encore nous renseigne-t-il sur sa carriere administra tive (Journal, I, 107) et politique portant par exemple sur l'entreprise d'un projet de loi d'amnistie qui le preoccupe a un certain moment (I, 96). II nous renseigne aussi sur son etat de sante physique et moral: "Il y a surement une influence de la saison de la canicule sur mes facultes or- ganiques, intellectuelles et morales" (I, 13). Dans ces saisons il se trouve toujours, sous ces trois rapports, au- dessous de sa valeur ordinaire, tandis que pendant les mois d'ete, il est envahi par une grande mobilite nerveuse. II souffre alors d'une incapacite absolue d'attention, et d'un decouragement entier. Sa facilite a ceder a toutes les impressions externes et internes coincide done avec la faiblesse de son estomac et avec plusieurs autres incommo- dites. Comme on peut le voir, ce sont des cahiers d'experience et de confessions quotidiennes ou l'on suit aussi de pres les notations sur les variations atmospheriques et leurs effets sur sa sensibilite. Maine de Biran repertorie a un degre pres la temperature du temps printanier ou estival qui semble ebranler son equilibre physique et moral en provo- quant chez lui une sorte de mobilite dans les impressions, 14 les penchants et les idees, qui le rend incapable d'un tra vail soutenu (Journal, I, 31). En effet, comme le disait Rousseau, "appliquer le barometre a son ame, ... est une operation necessaire pour etudier les rapports du physique et du moral: ... 11 (I, xxii) . Les notations de Maine de Biran sont exactes, prises avec la minutie d'un observateur scientifique. Le champ d'observation s'etend sur l'emploi du temps de ses journees: redaction d'une longue lettre a sa femme, courses en voiture, interruption de son travail par des visites, fait qu'il n'apprecie guere et qui lui donne de l'humeur (I, 24). De meme, a propos de l'examen de conscience, il nous confie qu'il serait plus maitre de son attention s'il etait moins souvent derange ou s'il ne se laissait pas distraire (I, 14). On le suit dans ses notes de lecture, comme par exemple dans celles qu'il rapporte au sujet d'Adolphe de Benjamin Constant, chez qui il reconnait l'apport d'observations profondes sur le coeur humain (I, 177). Quand il fait des reflexions en marge de son activite politique, il nous laisse voir ce qui se passe a la Chambre, comme par exemple son opposition au renouvellement de celle- ci et son appartenance au parti royaliste (I, 108). Le champ d*observation s'etend egalement sur ses 15 meditations philosophiques au cours desquelles il cherche a situer le probleme du sentiment par rapport aux idees en essayent d'etablir si le sentiment nalt avant 1 1 idee ou si, au contraire, 1'idee amene le sentiment (I, 31). On y voit egalement des morceaux destines a trouver place dans son oeuvre future. Nous suivons par exemple sa pensee, alors qu'il denonce la confusion qui existe entre la metaphysique et l'ideologie: " ... on a cru pouvoir sou- mettre au point de vue physique ou logique ces conceptions ou notions premieres et necessaires que la metaphysique a essentiellement pour objet; ... " (II, 43). Il se propose alors comme il nous le dit de retablir les erreurs commises par les ideologues: "L'ouvrage que nous annongons nous en fournira beaucoup de preuves" (Hr 43). Finalement, on trouve dans le Journal de beaux paysages sur la nature et sur l'ame, a la maniere de Rousseau: J'ai eprouve ce soir, dans une promenade solitaire, faite par le plus beau temps, quelques eclairs momen- tanes de cette jouissance ineffable que j'ai goutee dans d'autres temps et a pareille saison, de cette volupte pure, qui semble nous arracher a tout ce qu'il y a de terrestre, ... (I, 81) Ce qui distingue le Journal de Maine de Biran des autres journaux, de Stendhal ou de Constant, par exemple, c'est qu'il apporte une nouvelle direction dans la 16 litterature, une espece de caractere scientifique qu'il cree par l1analyse de ses sentiments. Au contraire des autres journaux ou 1 'auteur ne se soucie que de l'histoire du sen timent, dans celui de Maine de Biran on suit la naissance et la formation de sa pensee pour aboutir a ses doctrines psychologiques ou philosophiques. Maine de Biran avait congu le Journal pour s'observer, pour enregistrer ses sentiments, et il n'avait pas envisage de le publier. C'est la raison pour laquelle on y trouve tant de notations sur les conditions atmospheriques et une abondance de details sur sa sante physique et morale, dont, comme nous I'avons deja vu, il veut etablir les rapports et les consequences. Un autre trait qui distingue ce journal, c'est la discontinuity du recit. Le lecteur est ainsi plus proche de la vie elle-meme telle qu'elle se deroule sous les yeux de 1'auteur. Girard nous dit a ce propos: Son lecteur entend sa voix et entre avec lui dans son intimite. Aucune distance ne le separe de lui. C'est pourquoi Maine de Biran, qui fut des l'origine le theo- ricien du journal intime, en est aussi le maitre. (Girard, p. 213) Bilan du Journal En resume, on peut constater dans le Journal quatre elements constants qui le sous-tendent a chaque instant: 17 l'angoisse, 1 ' inadaptation sociale, la solitude et une nou- velle optique philosophique. Maine de Biran se trouve au carrefour des incertitudes 0 politiques, sociales et scientifiques de la fin du 18 siecle qui percent sa sensibilite au plus profond. "Le present est gros de revolution" (Journal, II, 59), note-t- il; mais on peut suivre de plus pres ce probleme qui l'agite grace a son analyse minutieuse de la situation. Premiere- ment il condamne l'egalite, il ne croit pas a une democratic comme on l'entend en Amerique. C'est le gouvernement demo- cratique a son avis qui menace la societe de sa destruction parce que le pouvoir laisse dans les mains de 1 'individu devient despotique et tyrannique. Cela enleve le respect general. Il se plaint de la royaute qui n'inspire aucun respect et, avec ce manque de respect pour la monarchie, il prevoit une anarchie totale (II, 66). Nous verrons ici comment ces troubles de 1'epoque suscitent chez notre auteur des sentiments aigues et comment il les analyse a travers leur course. L1angoisse.— Tout d'abord l'angoisse de 1 'auteur, motivee par 1 'impossibilite de regler sa vie, devient pour lui une cause de trouble, d'ennui et d'un vide affreux qu'il eprouve en dehors de ses moments de travail: 18 Apres quelques eclairs de bien-etre et d'activite, je suis retombe dans mon etat de tristesse, de langueur et d'abattement. Je travaille a batons interrompus sans pouvoir me satisfaire sur rien. J'eprouve un grand mecontentement de moi-meme et par suite du monde entier. (II, 45) On remarque aussi qu'il lui manque un but fixe et in variable qui pourrait diriger sa vie et sa pensee: ... je ne sais ou ne puis me donner de but determine; je n'ai ni guide, ni appui, ni mobile constant dans cette vie de distractions et de miserables amusements. (II, 38) Decourage constamment par sa faible constitution physique, il est conscient de 1 'agitation nerveuse qui le gene et le pousse a l’inaction (I, 140). La moindre indisposition * physique suffit pour lui donner une angoisse qui risque de devenir metaphysique dans la mesure ou son manque d'equi- libre physique et moral, provoque ne serait ce que par un rhume, le conduit a douter du monde et de lui-meme (I, 22). Cette incertitude personnelle, il la porte partout dans ses affaires intimes, comme dans les affaires politiques, car elle affecte sa capacite d'attention dans ses activites a la Chambre (III, 17). On constate chez Maine de Biran un accroissement du sentiment d'angoisse, due en partie aux troubles de son epoque, comme nous 1 1avons dit; cette angoisse est nourrie 19 quelquefois de ses dispositions physiques pour aboutir au neant existentiel, sentiment qui deviendra le theme d’une nouvelle enquete chez Sartre, Camus ou Beckett. II faut noter cependant que chez ces auteurs le probleme du neant releve de la situation de l'homme en general, alors que pour Maine de Biran le neant appartient a sa propre instability personnelle. ... cette malheureuse existence [nous dit-il], n'est qu'une suite de moments heterogenes qui n'ont aucune stabilite; ... Tout influe sur nous, et nous changeons sans cesse avec ce qui nous environne. (Ill, 3) Comment vivre dans ce monde en "etre ondoyant et di vers"? Que peut l’homme sur sa situation? Pour Maine de Biran il s'agit de concilier les besoins physiques avec les besoins moraux qui sont en opposition. L'organisme a besoin de mouvement, d'agitation, alors que 1 'esprit a besoin de repos. Dans la premiere etape de son developpement, Maine de Biran a recours au stoicisme: c'est par 1'effort volon- taire qu'il veut maltriser les elans de son corps: ... il y a en general plus d'aplomb, de calme au fond de mon etre, plus de force meditative; j'ai la consci ence de cette force, mais je ne l'exerce pas et les distractions forcees, ou celles que je cherche, les devoirs de ma place ... m 'entraine[nt] a des ecarts de regime, ... (I, 23) Plus loin, vers la fin de sa vie, inspire de Fenelon, il se 20 rapproche de la spiritualite, par besoin, semble-t-il, car il faut qu'il enraye le desespoir provoque par le vide qu'on ressent lorsque Dieu et tous ses dons se retirent de l'ame (II, 147) . C'est alors qu'il se tourne vers Dieu pour remplir "ce vide que nous trouvons en nous lorsque nous reflechissons sur notre existence," afin d'apaiser "la soif de con- 14 naitre" la verite des choses et pour lutter contre "cette 15 difficulte d'exister qu'on nomme ennui." Comme le dit Monbrun, tout ceci suggere la chute dans 1'abime: "Celui qui vit, qui pense et qui ne s'appuie pas sur Dieu, doit fremir sans cesse, etonne de se sentir exister" (Journal intime, I, 14). L'inadaptation sociale.— Tributaire de 1 'incertitude de sa personne et de la connaissance qu'il a de l'univers, Maine de Biran ressent une incapacite a s'adapter au monde: " ... le monde exterieur m'echappe et fuit sous moi de 14 Maine de Biran, Le Journal intime, edite par La Valette Monbrun, 2 vols. (Paris: Plon, 1927), I, 14. ^Maine de Biran, Oeuvres de Maine de Biran, accom- pagnees de notes et d'appendices, publiees avec le concours de l'Institut de France par Pierre Tisserand et completees par Henri G. Gouhier, 14 vols. (Paris: Presses Universi- taires de France, 1920-1949), I, 232. 21 toutes parts" (Journal, II, 4). Cette plainte de “l'homme deplace", si chere aux romantiques, parcourt le Journal comme un "leitmotiv". On l'entend se lamenter: "Je ne suis jamais a ma place. Je ne*la connais raeme pas bien" (II, 47). Comme point d'appui, il cherche partout la bienveil- lance des hommes qui l'entourent. Son inadaptation devant le monde provient aussi de sa timidite a parler: "Je me sens toujours embarrasse dans mes idees et mes expressions; je suis au-dessous de moi-meme et de tout le monde" (II, 48), et de la confusion des impres sions variees et nombreuses qui lui arrivent a la fois. Il va jusqu'a nous peindre son embarras en presence du roi, toujours en nous donnant des details precis sur ses reac tions physiologiques et biologiques, telles que des res- serrements d'estomac, des maux de tete, des battements de coeur et autres faiblesses physiques (I, 223). Ce genre de complexe d'inferiorite sociale provoque la souffranee physique de son organisation; il se plaint de se sentir encore plus faible en presence d'hommes forts, au point de vouloir les eviter, car ce complexe le trouble et l'abat (11,90). Comme sa constitution manque d'equilibre physique et morale il se sent hors de place et manque; aussi 22 cherche-t-il la distraction en dehors: Je me cree toujours des motifs imaginaires pour courir au dehors et appliquer indeterminement une activite tumultueuse, que les travaux de 1 'esprit ne peuvent plus remplir. (I, 233) Apres la revolution/ Maine de Biran mena une vie soli taire qu'il consacra aux etudes. Il prit l'habitude de se remplir sur soi-meme. Dans ces annees de solitude il s'est habitue a ne plus prendre l'interet actif a la vie exte- rieure. C'est peut-etre aussi la raison pour laquelle il n'a plus de rapports avec ce qui 1'entoure. Revenu a une charge politique importante pendant 1'Empire et la Restaura- tion, ses devoirs et une vie affairee absorbent toutes ses forces. II se sent enferrae: J'ai ete sans energie# sans disposition pour aucun travail d'esprit. ... Mes relations de societe ou d'affaires emploient tout le temps et usent toutes mes facultes. (I, 27) Il ne peut guere s'adapter au monde, "Je suis embar rasse avec les hommes et contraint avec les femmes" (II/ 5), tout le fuit/ comme il fuit tout le monde: "L'age ferme l'ame peu a peu a tous les sentiments expansifs ... " (1 / 28). Mais il reste toujours tres conscient de son etat auquel il cherche un remede. Ainsi il nous montre comme il erre dans le monde en somnambule, et il se rend compte que 23 tout sentiment est eteint en lui (II, 48). Tourmente par les evenements politiques qui reviennent avec le pouvoir de Napoleon, Maine de Biran eprouva de plus en plus une haine insurmontable pour "Le Corce fatal", ce que nuit a sa carriere officielle. Il voulait s'eloigner des affaires politiques pour ne pas compromettre sa cons cience; il ne voulait pas trahir ni le devoir ni l'honneur (I, 90). Il ne se sentit pas capable d'une trahison dans laquelle la plupart des hommes d'Etat tremperent. II aimait la France et il denonga l'hypocrisie qui s'etalait sous ses yeux, ... ce sont [dit-il] des miserables comediens qui jou- ent leurs indignes farces: ils voudraient se tromper eux-memes en trompant les autres. (I, 92) En matiere de philosophie, il se sent aussi en dehors de la societe parce qu'elle manque de profondeur dans les sujets traites. Nous voyons comment il se plaint des diffi- cultes que se posent entre Ampere et lui a propos des diffe- rentes definitions de 11ame pensante (II, 28). La solitude.— Accable par 1'angoisse existentielle et un sentiment d 1 inadaptability, Maine de Biran se refugie dans sa solitude pour s'y retrouver avec ses idees. C'est la qu'il rejoint son meilleur compagnon et ami, le journal, 24 auquel il confi tous ses sentiments les plus intimes, et ou rien ne le contraint. En nous renseignant sur sa rencontre avec ses filles, il nous peint sa joie et en meme temps nous montre tous les sentiments paternels qu'elles provoquent en lui (II, 239). La solitude confere a Maine de Biran la liberte d1esprit, la liberte de toute contrainte, comme aussi la liberte de tout souci: ... il n'y a eu en moi d'equilibre ou d'harmonie que loin de ce monde et dans la solitude, parce je pouvais y suivre librement mon instinct. (II, 4 5) Il la cherche partout pour s'evader du monde qui le menace avec ses impressions confuses, avec les contrarietes de la vie. Ainsi la solitude lui laisse-t-elle le temps de pro- fiter des intervalles lucides et en meme temps " ... elle multiplie ces intervalles en prevenant les impressions con fuses ou en ecartant les causes" (II, 86). Se croyant deprave, il se refugie dans sa solitude car il ne peut communiquer ses souffranees a autrui, e'est la raison pour laquelle il ne confie jamais a d'autres les sentiments ou les impressions penibles et tristes de son existence. C'est son etat organique qui influe sur ses impressions et en est la cause. Quand son organisation pese sur lui, il s'enferme au dedans de lui-meme (II, 187). 25 Il se sent eloigne de la societe quand il se trouve au milieu d’une reception ou en contact avec le monde; pourtant il s'acquitte de ses fonctions politiques. Il remplit tres consciencieusement les devoirs de sa charge et lui consacre toute son attention. Mais il se lamente constamment sur ses occupations qui sont opposes a son interet, bien qu'il n'y renonce pas. "Si je changeais volontairement mon etat actuel [dit-il], j'aurais infailliblement des regrets, et peut-etre que la solitude me deviendrait insupportable, ..." (I, 99). II nous devoile aussi la mobilite de son carac- tere, qui ajoute a son desequilibre. Par moments il cherche la distraction, le mouvement, 1 'agitation, comme il l'avoue lui-meme: "J'ai contracte des habitudes, toutes nouvelles, de mouvement exterieur, de recherche de societe, de luxe, ... " (I, 103). Pourtant a d'autres instants, il cherche la solitude, comme on l'a vu plus haut. Optique nouvelle pour la decouverte de l'individu.— Maine de Biran a la conscience de soi-meme et de l'homme en general. Il s'y applique a la fois en savant empiriste et en rationaliste. Ainsi il essaie de reconcilier ces deux systemes opposes et il y en ajoute un troisieme, le spiri- tualisme, qui renvoie la pensee philosophique et psycholo- gique dans une nouvelle direction. En effet, il nous dit: 26 ... rien de plus necessaire pour notre vie presente et future, pour tout ce qui peut servir reellement a l'une et a l1autre que cette vie interieure, cette confession qu'une ame aimante et faible fait a elle-meme et a d'autres ames faites pour l'entrendre de ces faiblesses et de ces amours. Ainsi la nature humaine peut etre mieux connue [sic]. (II, 379) Maine de Biran oppose a la pensee de Descartes le moi comme fait primitif. Descartes dans le cogito avait separe l'ame du corps, enlevant a l'homme " ... [le] sentiment intime qu'il a de sa pensee, ... " (II, 319). En plus, il avait explique les communications de mouvement entre les parties de l'ame et celles du corps par les lois de la mecanique ordinaire (II, 171-72). A Pascal, Maine de Biran refuse la solution mathematique du probleme de la foi: Pascal veut traiter la foi religieuse comme on arrive a la solution d'un probleme, par 1 *analyse algebrique en supposant le probleme resolu et operant en conse quence. (II, 387) Notre auteur attache une grande importance a 1'influence reciproque de l'ame et du corps; l'homme doit agir pour determiner son existence, il ne peut pas se fier au seul don d'une grace probable. Nous voyons done que Maine de Biran se mefie d'un systeme tel que le rationalisme pour expliquer la nature humaine. Il essaie d'etudier l'ame suivant la methode empirique de Locke, Hume et des ideologues, seule- ment il place son observation a 1 'interieur de sa conscience 27 au lieu d'observer les faits de l'exterieur. Pendant toute sa vie Maine de Biran avait porte son attention sur le iaoi, et le probleme de la nature humaine. Son analyse ingenieuse avait illumine 1'effort volontaire, musculaire ou mental, ce qui a suffi a preparer d'un cote la ruine du sensualisme et de l1autre a favoriser la re naissance du spiritualisme. La quete methodique de sa personne a travers l'examen du contenu de sa conscience l'amene a decouvrir le fait primitif, le moi, qui lui fournit 1 'aperception de sa propre existence ainsi que la connaissance du monde. En d'autres mots, le moi se congoit en meme temps comme objet et sujet. Nous suivrons ce developpement dans le chapitre suivant. La decouverte du moi et les exigences de ces ramifica tions entrainent la meditation de notre auteur a poursuivre la voie du bonheur. Comme 1'incertitude et les remous de l'epoque, de meme que ceux de son caractere menacent le sentiment de son existence, il se cree le seul appui veri table en s'elevant jusqu'a Dieu, la realite supreme. Grace a sa psychologie experimentale ou science d'abord purement reflexive, il trouve le moyen de determiner et nos rapports moraux avec autrui et nos rapports religieux avec l'Etre Supreme. Par son application a saisir les rapports 28 du moi avec les dispositions variables de la sensibilite, il fait d'autres decouvertes importantes dans cette science. Le systeme de la philosophie qui m'est propre [dit- il] a l'avantage de rattacher la partie intellectuelle de l'homme a ce qui le constitue etre moral, c'est-a- dire a la volonte, a la libre activite, qui seule cons titue le moi, la personnalite. (I, 134) Il a ainsi demontre que l1effort d'ou surgit le moi est la condition de la conscience et de la connaissance. Maine de Biran nous a eveille a une verite tres impor- tante en nous montrant que nous eprouvons, par notre expe rience, notre propre causalite et notre propre substantia lity . "En retrouvant sous la passivite des sensations 1 'activite de 1 'esprit, il avait renouvele la pensee philo- sophique" (Journal intime, I, xliii). Il rejoint Montaigne dans l'etude de l'homme, princi- palement dans l'etude de son propre moi. Mais il le sur- passe par la sincerite, la profondeur de 1 'analyse et 1 'elevation des idees. Nous avons essaie de montrer l1analyse et la descrip tion des sentiments tels que Maine de Biran les eprouve dans sa conscience, soulignant l’effet du dehors et l'effet de ses dispositions physiques sur son etat moral. II se peut que ce tableau pese un peu par le grand nombre de details des ennuis qui agacent notre auteur, mais nous voulions 29 rensigner le lecteur sur 1 1examen patiemment poursuivi que Maine de Biran avait entrepris pour arriver a ses doctrines exposees au deuxieme chapitre. Les sources de Maine de Biran Maine de Biran, en cherchant a se connaitre, est avide de verite et d'ordre intellectuel et moral, afin d'appaiser son desequilibre cause par ses dispositions organiques et spirituelles. Les changements venus de l'exterieur dus soit a des variations atmospheriques, sociales ou politiques, affectent sa sensibilite a un degre extreme. II essaie done de se consoler ou de s'inspirer des esprits savants de l'epoque et des auteurs qui partagent sa douleur. Ainsi on decouvre chez lui deux sources d'inspiration, le courant savant et le courant spirituel. Le courant sentimental On apergoit dans le biranisme, et surtout dans les idees de Maine de Biran exprimees dans le Journal, un elan spiritualiste dont l'origine remonte nettement aux oeuvres de Rousseau et de Fenelon. Le projet du Journal vient de l'heritage de Rousseau. Maine de Biran declare: "J. J. Rousseau a fait la poesie de la conscience morale; je voudrais en faire la theorie" 30 (Journal, II, 126). Dans les Reveries d'un promeneur soli- taire, le theme de 1 'existence predomine: " ... cette mal- heureuse existence n'est qu'une suite de moments heterogenes qui n'ont aucune stabilite; ... " (III, 3). Les Confes sions , notamment le livre IX, 11entraine a une enquete sur les modifications dans l'homme et de ses causes. ... j'avois [nous dit Rousseau] un objet plus neuf et meme plus important. C'etoit de chercher les causes de ces variations [de l'homme] et de m'attacher a celles qui dependoient de nous pour montrer comment elles pou- voient etre dirigees par nous-memes... [sic] (Rousseau, p. 408) Maine de Biran s'inspire surtout de La Profession de foi du vicaire Savoyard. Il s'y refugie et essaie de se plonger dans la contemplation de 1 'infini pour elever son ame jusqu'aux verites eternelles, la justice et le sens moral. "La contemplation des regions du monde intellec- t[uel] fait les delices du sage" (Journal, I, 82). Mais, a la difference de Rousseau, Maine de Biran tente de fagon- ner la philosophie selon sa propre recherche du bonheur. Cela implique une subordination de 1'analyse psychologique a des buts moraux, pour arriver a la science de l'homme; il veut etablir surtout une juste theorie de la conscience. Bien que dans les premieres annees du Journal Rousseau soit le maitre de sa conscience, la pensee de Fenelon commence a 31 le penetrer de plus en plus. "Pauvre conseil ou Dieu n'est pas, dit Fenelon. La presence de Dieu opere toujours la sortie de nous-meme, et c'est ce qu'il nous faut" (Journal, II, 197). Des 1816 on constate peu a peu une conversion de la pensee biranienne; elle devient spiritualiste et le restera jusqu'a la fin de sa vie. L'ame peut trouver en elle-meme, ou dans la pensee de Dieu [nous dit-il], de 1'infini, des moyens de force, d'elevation et de paix, qui restent les memes quand la machine s'affaisse et que tout l'organisme tend au de- couragement, a la tristesse, a lfennui. (II, 197} La pensee de Fenelon pousse Maine de Biran a reexaminer la distinction entre la vie animale (organique), cause du mouvement involontaire, et la vie intellectuelle qui apporte le mouvement volontaire, soit la difference entre la vie active et la vie passive. Dans son commentaire sur un article de Fenelon condamne par le Pape Innocent XII, Maine de Biran nous dit: Fenelon reconnaissait ici sous d'autres rapports la distinction etablie par les physiologistes, et qui est pour nous un fait de sentiment, entre la vie organique et animale et la vie intellectuelle. Toutes les pas sions ou emotions aveugles et involontaires ont leur siege dans la vie organique; tout ce qui est volontaire et intellectuel a un siege a part. (I, 111; voir la note 3 de la p. 110) On peut sentir 1'influence de Rousseau et de Fenelon 32 sur Maine de Biran quand il constate par exemple que dans son siecle les beaux sentiments sont eteints dans presque toutes les ames, et que " ... l'on ne considere plus les actions humaines que sous le rapport d'utilite ou d'avan- tages materiels" (1/ 52). Rousseau et Fenelon, dans leur siecle respectif, sa sont aussi preoccupes du manque de sentiments dans le peuple. Le courant ideologiste La doctrine ideologiste, qui a pour objet l'etude des idees, de leurs rapports et de leur origine, est representee surtout par deux contemporains de Maine de Biran: Cabanis et Destutt de Tracy qui dans son Memoire sur la faculte de penser crea le mot, "ideologie" (Journal, II, 42; voir la note 2). Cependant, 1'ideologie doit ses commencements a Condillac qui etudia 1'esprit humain pour connaitre ses operations. Condillac [dit notre auteur] fait apparaitre de faqon exemplaire la problematique propre a l'empirisme dans 1'Essai sur les origines des connaissances humaines; il fait reposer celles-ci sur la sensation, transfor- mee par les signes.16 16 Jean Deprun, "Philosophie et problematique des lumi- eres," Histoire de la philosophie (Paris: Gallimard, "La Pleiade," 1973), II, 683-84. 33 Pour arriver a la science de l’homme, Maine de Biran cherche des points d'appui dans les travaux de ceux qui ont analyse 1'esprit d'une maniere scientifique. Bien que Rousseau soit son point de depart, comme nous l'avons vu, 1'originalite de la pensee de Maine de Biran se manifeste a travers le traitement des idees de Condillac. Il soumet la Traite des sensations de celui-ci a une analyse psycholo- gique minutieuse. Il remarque que Condillac avait donne une direction fausse et funeste a la philosophie en rapportant aux sensations adventices quelconques l'origine et la cause de tous les faits de 1 'esprit humain, "sans considerer le sentiment fondamental, toujours le meme, qui constitue le moi, ... " (Journal, I, 236). II faut admettre, cependant, que 1 'influence des ideo logues, surtout de Cabanis et de Tracy, joua un role con siderable pour Maine de Biran; ils lui ont appris 1'impor tance de la methode dans 1'analyse scientifique. Grace a eux il a pu mettre de l'ordre dans ses pensees tres diffuses et a organizer ses idees. A ce propos Victor Delbos nous dit: C'est d'elle [la methode] qu'il regut, sous une forme technique qui realisait quelques-unes de ses tendances et quelques-uns de ses pressentiments, des theories 34 importantes.^ Ainsi il apprend de Tracy le principe que la motilite est l'origine et la condition de l'exercice de nos facultes proprement intellectuelles. Destutt de Tracy avait enrichi cette these [de Condil lac] en montrant que le seul contact ne suffit pas, que nous n'aurions nulle conscience d'un corps contigu au nStre s'il ne nous resistait pas. Il faillait done un^g sixieme sens, qui fut celui de la motilite volontaire. Maine de Biran developpe done le principe de "motilite" de Tracy. Dans son oeuvre, Rapports du physique et du moral de 1'homme, Cabanis lui apprend que les sensations externes ne sont pas toute la sensibilite: qu'il y a aussi des sensa tions internes. En effet, ce que montre Cabanis est une influence du physique sur les facultes intellectuelles, et Maine de Biran va preciser et approfondir les facultes in ternes pour fixer sa propre theorie dans laquelle il dis tingue, entre les sensations externes, 1 'element d'affecti- vite et 1 'element de perceptivite, c1est-a-dire, ce qui est passif ou involontaire ou mecanique, et ce qui est 17 Victor Delbos, Maine de Biran et son oeuvre philo- sophique (Paris: Vrin, 1931), p. 283. 18 Roch Bouchard, "Maine de Biran: une anthropologie transcendentale," Canadian Philosophic Review, 12 (1973), 9. 35 volontaire ou actif. Les physiologistes [dit-il] font constamment abstrac tion de I1activite de l'ame et de 1 'influence directe ou indirecte de la volonte sur plusieurs phenomenes organiques. On a trouve dans les ouvrages de Cabanis, de Bichat, ... beaucoup d'assertions fausses dans ce qu'elles ont d'absolu et de contraire aux lois de cette activite hyperorganique. (Journal, II, 64) On peut done observer que 1'ideologie contient deja le germe de 11 observation subjective. Elle fournit a Maine de Biran le principe de 1*analyse ideologique, celle du coeur humain et celle de la pensee: la decomposition de la vie interieure. Il faut noter qu'avec les theories des ideo logues on approche du romantisme par 1 'isolement de 1 'in- dividu et par l1accent donne a la sensibilite, alors que le classicisme, derive du rationalisme de Descartes, avait pousse a la generalisation en montrant que tous les hommes se ressemblent par la pensee. But du Journal C'est la conscience simultanee de la perspective ideo logique et sentimentale qui donne naissance au Journal. En effet, Le journal ainsi conqu vise seulement a la connaissance du moi dans un double but: personnel, en vue du per- fectionnement interieur, en general, parce que la com- paraison entre elles de plusieurs observations faites 36 par divers individus, qui se penchent chacun sur sa propre subjectivite, doit permettre une connaissance objective de l'homme. (Girard, p. 162) Maine de Biran utilise son Journal pour retrouver a des intervalles plus ou moins espaces l'emploi du temps des jours ecoules, aussi pour observer les modifications de ses idees, sensations, et sentiments, et leur cause. Le Journal devient une enquete sur l1existence quotidienne; il porte un jugement d*ensemble sur les dispositions interieures, physi ques et morales, et il nous renseigne sur les rapports de celles-ci avec un milieu specifique. Bien que conscient du fait que son Journal n 1 exprime que le sentiment dominant du moment ou il ecrit, Maine de Biran se rend compte de 1'ab sence des nuances intermediaires (Journal, II, 59; voir note 1). Il veut surtout etablir le degre de liberte in- herente a l'individu. Conscient de ses capacites et de ses limites en tant que forces interieures, l'individu, d'apres notre auteur, peut maitriser ses defaillances grace a son effort volontaire en face des conditions exterieures, qu'elles soient sociales, ou de nature geographique. La volonte doit etre guidee par la reflexion; cela devient un exercice de notre liberte. Mais il y a des "resistances" qui proviennent de notre etat organique ou du dehors et dont on n'est pas maitre; c'est alors qu'on decouvre les limites de la liberte. Dans cette perspective, le Journal permettra a l'indi vidu d'atteindre au bonheur; d'une part il l'aidera a etablir 1 'unite de sa personne, d'autre part, il lui four- nira une connaissance de l'homme en general pour qu'il puisse remplir son role dans la societe. Le Journal de Maine de Biran temoigne du regret de son auteur de n'avoir pu jouir de la vie qu'a de rares moments, a cause de ses dispositions physiques, comme de celles de son milieu. C'est surtout l'histoire d'une ame ballottee par 1 'incertitude qui avec les alternatives de force et de faiblesse poursuit sa marche incessante vers le bonheur. Recherche de son identite a travers les meandres de la vie Maine de Biran a le souci de sa propre verite; il veut lui donner un "ton pur" (comme dira Bernard dans Les Faux monnayeurs de Gide): " ... j'ai soif de verite et je la cherche profondement en moi-meme" (Journal, II, 70). Il ne peut pas devoiler l'etre authentique parce qu'il se trouve dans "une situation" ou pour exister il depend du "parai- tre." De soi-meme il dit: "Voila la vie d'un ancien soli taire, transforme en homme du monde, et qui a perdu sa va- leur reelle pour en acquerir une toute factice" (I, 32). Par l'examen de conscience il cherche a definir une identite qui lui echappe parce qu'il est un etre "ondoyant et divers." L 'incertitude, sa timidite et son inconstance le met- tent en dehors du monde: " ... j'erre au hasard en un sen timent de trouble et d'inquietude, au milieu de mes livres, de mes manuscrits. La mefiance s'empare de moi et je n'ose rien entreprendre" (I, 211). Les hommes en haute position, les assemblies, ne deviennent pour lui qu'embarras et tour- ment. Ainsi il se sent mal a l'aise et nerveux devant le ministre de la police. Il nous depeint sa confusion et le mobile de ses actions. Il nous renseigne sur ses hesita tions et il projette une maniere de reussir dans le monde qui est contraire a celle qu'il adopte (I, 235). Pour re- couvrer son moi authentique, il a besoin d'exercer son in telligence "La faculte de reflexion, qui est la seule par laquelle je vaille quelque chose, ... " (I, 36). Ainsi il constitue autour de lui un cercle philosophique auquel il prend une part active car il goute cette conversation ani- mee. " ... elles me remettent sur la trace d'anciennes idees que je congois aussi vivement que jamais, ... " (I, 235). Cette societe lui offre les moments privilegies. On voit Maine de Biran osciller entre sa solitude et 39 le tumulte du monde: "Je me plaignais a Paris de 1'exis tence du mouvement; je me plains ici de son defaut" (I, 40). Selon lui, cet etat correspond a la nature inherente de l'homme: le physique qui a besoin d'activite ou de mouve ment, et 1 'intellect qui a besoin de repos, car " ... pour etre heureux, l'homme doit avoir la jouissance pleine et entiere des facultes diverses qui appartiennent a ses deux natures, ... " (I, 62). L'etre sentant ou animal, pour notre auteur, a besoin de sensations et de mouvements; alors que l'etre moral, a besoin d'idees et d'un certain exercice de la reflexion, ce qui ne peut pas s'accomplir sans le repos. Il se rend compte aussi que pour notre propre iden tite nous avons besoin de 1 *opinion des "autres": ... la confiance qu'on me temoigne [dit-il] l'approba- tion, les suffrages, la bienveillance de ce qui m'en- toure, sont pour moi des principes d'action necessaires ou les conditions exclusives du developpement de mes facultes qui autrement demeurent inertes et concentrees. (I, 113) Maine de Biran nous fournit ainsi un tableau assez complet des differents "modes" de notre existence en pei- gnant a la fois les moments joyeux et melancoliques. Pour maitriser ses dispositions il nous conduit petit a petit par 1 'effort volontaire qui devient le centre de ses theories philosophiques et le coeur de sa psychologie (Girard, p. 40 187), du stoicisme, exemplaire a son point de vue, au christianisme, qui trouve sa seule consolation en Dieu: "Pour me garantir du desespoir, je penserai a Dieu, je me refugierai dans son sein" (Journal, I, 66). Pour parvenir a une nouvelle morale Maine de Biran represente l'humanisme de la Renais sance; il suit la tradition salesienne (refletant l'au- gustinianisme) qui cultive l'ame pour rendre la volonte de plus en plus sensible a I1action divine. Mais il est aussi issu de l'humanisme frangais qui s'interesse a l'interieur de l'homme. Sa vaste erudition des auteurs grecs et latins qu'il cite souvent 1 'inspire a les suivre dans leurs prin- cipes moraux et dans les interets politiques auxquels il participe activement. Son noble heritage ancestral, sa culture, son education et, finalement, les charges diverses qu'il a remplies en temoignent. Mais c'est surtout le haut sentiment de dignite et de conscience morale qui le dis tingue de ses contemporains. En s'analysant pour trouver les ressources auxquelles il peut recourir, et avec 1 'expe rience que le monde lui fournit, il est arrive a nous donner un exemple de morale pratique. Ainsi il decouvre que ... 1 1exercice des facultes actives de 1 'esprit se lie 41 a notre moralite, et que l'une est inseparable de 1 'autre: une vie de dissipation et de distraction meme innocentes, peut etre consideree comme immorale, en ce qu'elle etouffe les sentiments moraux ou les empeche de naxtre. (I, 241) On peut voir que pour atteindre son but, il attribue plus d'importance aux facultes intellectuelles de l'homme qu’a ses dispositions physiques. La raison de ce choix tient peut-etre a sa "faible machine", parce que son propre desequilibre entre la vie animale et la vie intellectuelle le pousse a la philosophie de 1 'effort pour maxtriser ses defaillances. Pour Maine de Biran, la pensee seule est capable de rendre la dignite a l’individu. Elle constitue la deuxieme etape dans sa philosophie; la vie organique ou "1 ’animalite" de notre etre en represente la premiere, parce que l'ame reste toujours melee avec le corps sans exercer aucun ef fort, aucune activite pour s'en degager. Il n'a pas besoin de penser; done il ne peut pas etre moral. Pour notre au teur, l'exercice de la pensee est en meme temps un exercice de moralite. II faut se mettre au-dessus de la nature ou de l'organisme, au-dessus des passions, des affections qui appartiennent a la machine, pour faire son metier d'homme (II, 201). Enfin, la vie spirituelle constitue la troisieme etape 42 et devient pour 1 'auteur l1aspiration la plus elevee a laquelle on puisse arriver grace au soulagement fourni par 1'amour de Dieu: ... le sentiment et l'idee [nous dit-il] se develop- pe[nt] en moi avec une activite toute nouvelle, dans cette epoque de ma vie ou je sens le besoin de m'atta- cher a quelque chose qui reste; car tout m'echappe et me fuit. (II, 120) Il adhere a la religion comme a la monarchie pour s'assurer d'une paix qu'il ne trouve pas en lui; il lamente le manque de "sentiment monarchique", et le manque de res pect et d'amour pour le roi; il croit que sans un ordre legitime il ne peut y avoir pour la France ni religion, ni morale, ni patrie. "Tous les liens sociaux viennent se rattacher a ce sentiment" (I, 91). Puisqu'il n'y a pas d'absolu dans le monde, il faut s1imposer la croyance dans l'Etre infini comme un soulage ment de l'ame. D'autre part, il s'attache a la raison et non au hasard pour diriger le mouvement de la vie, comme nous l'avons deja vu. Enfin, il faut s'imposer un but fixe qui soit digne d'un etre raisonnable. "Un but fixe et la certitude que ce but est digne d'une creature raisonnable: voila ce qui nous manque" (I, 123). En parcourant le Journal de Maine de Biran, on constate 43 qu'il est moraliste en principe et un psychologue avant la lettre qui se sert de 1 1 introspection comme d'une technique d'observation necessaire a la connaissance generate de l'homme et a la construction de sa propre personnalite qui ne cesse de lui echapper. Au deuxieme chapitre de cette these nous nous attache- rons a montrer la genese de ses idees et comment celles-ci se sont developpees dans ses oeuvres philosophiques et psychologiques. CHAPITRE II LES THEMES DU JOURNAL Dans son Journal, Maine de Biran se consacre a 1'etude et a 1 'analyse des problemes interieurs de la vie tels que 1 'experience quotidienne les presente a son propre esprit afin de relever les divers elements qui les constituent. On penetre dans la conscience de l'homme qui partage son exis tence entre les fonctions publiques auxquelles repugnait sa nature mais qu'il remplit avec effacement et ponctualite, et et la meditation solitaire dans laquelle il redigeait son Journal, tout en peinant a la composition d'autres ouvrages. On constate surtout une place predominante accordee aux themes qui vont faciliter le passage de 1 1individu au bon- heur. Nous les etudierons dans ce chapitre pour montrer la minutie de 1'analyse de Maine de Biran pour arriver a ses conclusions. Le theme du bonheur, de 1'existence, de la conscience, de la liberte et de la morale constituent l'interet 44 45 primordial de 1 *auteur. II les traite avec toute l'ampleur qu'ils commandent tant du point de vue subjectif qu'objec- tif. Le bonheur Pour Maine de Biran le bonheur est incomplet en dehors de l'harmonie entre l'etat moral et de l'etat physique, parce que l'homme est dependant de ses dispositions physi ques pour determiner ses actions, et celles-ci ont besoin du libre exercice des facultes pour les guider (Journal, III, 22) . II constate, de meme, dans chaque individu que le bon heur est relatif a sa faculte predominante (III, 145), et que le libre exercice de cette faculte contribue a consti- tuer son moi authentique qui le caracterise. Maine de Biran a consacre sa vie a la recherche du bonheur en analysant la nature et l'etendue de nos facultes pour determiner ce qui depend et ce qui ne depend pas de nous. Ainsi, comme le montre notamment son Journal, il est arrive a constater, que 1 'exercice des facultes intellectuelles depend de notre organisation physique qui parfois entrave ou obscurcit nos pensees et nos actions. Par ailleurs, les circonstances exterieures, politiques et sociales, peuvent contrarier le libre exercice de nos actions, comme il l'a souvent senti dans sa carriere politique. Par consequent, l'homme depend 46 de l'univers dans lequel il vit, et aussi de son corps pour se procurer le bonheur auquel il aspire. Cependent il doit connaitre les circonstances et les raoyens dont il dispose pour se fixer un but auquel il puisse atteindre (Maine de Biran, Oeuvres, I, xlii-xliii). Maine de Biran etudie le probleme du bonheur a travers son Journal comme interessant tout homme, mais ce probleme n'absorbe pas toute sa morale. Comme nous le verrons, il s'apergoit que la morale doit considerer 1 'individu dans ses rapports avec le monde: la morale le raenera done plus loin que l'egoisme suggere par sa conception du bonheur. L'ecole sensualiste, dont d'abord il faisait partie, concevait le bonheur comme 1 'assouvissement des desirs, des passions ou de certains appetits. Pour notre auteur, des le debut, le bonheur peut se realiser par l1absence d'appe tits et de desirs, c'est-a-dire, la ou l'homme se trouve dans le calme, la quietude (Maine de Biran, Oeuvres inedi- tes, III, 13). Cependant, il note que l'homme, esclave de son organisme qui parfois pese sur lui, est victime des influences exterieures, et ne peut guere les eviter. Nos idees, notre jugement, dependent de nos organes, et nous n’avons pas de pouvoir sur eux. II s'affranchit tres tot de ses idees; la decouverte de la volonte, apres la lecture 47 de Marc-Aurele, entraine notre auteur dans une nouvelle direction. Cette decouverte en tant que fondement de notre pensee, le pousse a chercher dans son fors interieur toute son etendue, comme nous l’avons deja reraarque. La morale stoicienne, reduite a ses limites propres, doit se soumettre aux dispositions humaines. Dans cette conception, le bon heur consiste a poursuivre les objectifs qui sont en notre pouvoir et a etendre, autant que possible, la sphere de notre activite par I1hygiene intellectuelle. De la meme maniere, il faut restreindre par une mesure egale 1 'activite de la necessite (Oeuvres inedites, III, 17). Nous voyons ici les preoccupations d'une philosophie pratique qui ecarte tout ascendant speculatif. Aussi dans les recherches de Maine de Biran, 1'importance de la "con- naissance intime", revient-elle a tout instant. Ici, la critique lui reproche d*avoir insiste sur un espece de bon heur subjectif a caractere egoiste. Mais en jugeant de pres les circorTstances de sa vie, cet egoisme le fortifia contre les vicissitudes et la menace du monde exterieur et finit dans l1amour de l'Etre supreme qui justifie cet egoisme (Journal, II, 211-19, passim). L'agitation de la societe et des affaires politiques offusquent 1 'imagination et le jugement de notre 48 philosophe; il a besoin, par le contact du raonde, de remplir le vide qu'il eprouve pour recouvrer ses valeurs, son fond authentique. Naville et Gouhier, mieux instruits sur Maine de Biran que des critiques hostiles comme Taine, nous ren- seignent surtout sur les conversions de Maine de Biran. Si les recherches scientifiques le menent a faire de la volonte le centre de sa philosophie, il s'est aper^u a la fin que le stoicisme tend a faire de l'homme son propre centre, en l'iso- lant a la fois de la societe de ses semblables, et de celle de Dieu, son createur. (Oeuvres inedites, III, 19) Le Journal, en particulier, revele ces precieuses tra ces du changement intervenu chez son auteur. A travers son analyse et les scrupules de sa conscience, il sentit qu'il avait trop isole l'individu et neglige le rapport de l'homme avec ses semblables. "Etre ondoyant et divers," il eprouve aux differentes saisons de l'annee les variations des sentiments de 1 'exis tence. Dans.son Journal il nous renseigne constamment sur les conditions atmospheriques. Ainsi, on note par exemple qu'il est plus agite physiquement, et done plus distrait, pendant l'ete qu'en hiver. Le manque de fixite, d'equilibre et d'ordre que la vie 49 lui apporte, soit a l'interieur ou a l'exterieur, causent son desespoir et lui rendent l'existence miserable. II nous depeint a chaque instant son desordre interieur qui est cause de sa mefiance de soi-raeme de son incapacite d'agir, et de son insatisfaction (Journal, I, 242-43, passim). Celle-ci offusque ses facultes intellectuelles jusqu'a lui faire sentir un vide, alors il demande un appui; mais comme il ne le trouve pas dans le monde, il le cherche en Dieu. Pour faire face a la vie, Maine de Biran a besoin d'une force physique et morale qu'il se procure par des excitants artificiels. Ceux-ci sont de deux natures: d'une part, ce qu'il appelle "des appuis exterieurs", et, d*autre part, "des excitants internes". Parmi les appuis exterieurs aux- quels il fait allusion, nous relevons les liqueurs, et egalement des "avantages exterieurs", mondains. Pour les "excitants internes", "il faut aller encore chercher des fortifiants dans la solitude, ... " (I, 104-05, passim) car celle-ci lui facilite la reflexion et il peut ainsi exercer sa pensee, qui doit remplir toute l'existence (I, 70). Mais a la fin de sa vie il trouve que le meilleur "excitant in terieur" est la lecture de L'Imitation de Jesus-Christ, et celle de Fenelon. Ainsi il trouve dans la presence de Dieu le meilleur remede pour son ame desemparee. 50 Le physique et le moral Pour Maine de Biran le physique est inseparable du moral, celui-ci etant affecte par la disposition de ses organes. Victime d'une frele constitution physique, dont il se plaint a chaque instant parce qu'il ne peut pas la sur- monter, il lui attribue sa faiblesse de caractere. Le Journal temoigne de la lutte penible contre sa machine, produit de son heredite, contre laquelle l'homme est impuissant. La faiblesse de ses organes l'empeche d'exercer toute activite soutenue, et engendre une sensi- bilite aigue. Les liens cenesthSsiques entravent sa pensee et rendent son style pauvre. On peut le constater par les expressions gauches comme par la repetition constante de memes mots et de memes sentiments. Si le Journal peut ennuyer le lecteur qui voudra y chercher une aventure, il sollicite d'une fagon insinuante le coeur et 1 'esprit de ceux dont Maine de Biran a pu refleter l'ame dans les fa- cettes d'un prisme. Notre auteur est de nature chetive. Etant donne son apparence menue et mince, sa disposition naturelle est en core affaiblie par les troubles gastriques et respiratoires dont il souffre tout au long de sa vie. Il se plaint cons- tamment de ses resserrements epigastriques, de ses 51 indigestions apres les repas qui lui causent des maux de tete et reduisent ses facultes intellectuelles. Mais para- doxalement cette defaillance des facultes intellectuelles, provoquee par les troubles gastriques ou autres, indique 1 1 importance qu'il prete aux premieres; il en mesure la portee par la superiority qu'il attribute a celles-ci. C'est precisement dans ces moments de defaillance in- tellectuelle, quand il mesure 1 'importance accordee a 1 'intellect, qu'il eprouve la nullite de son etre et de sa penible existence, due precisement a son affliction. Ce sentiment devient une obsession. C'est le leitmotiv de son Journal. En revanche, des lors que l'on peut jouir de la vie intellectuelle, il nous dit: ... ce n'est pas qu'il y ait surcroit de la vie physi que employe aux fonctions de la pensee, mais c'est que les obstacles a 1 *activite de l'ame sont moindres et que les images qui les obscurcissaient se dissipent. (Journal, II, 185) On peut done voir que ce valetudinaire attribue une grande place a l'etat de ses organes comme cause de ses desordres intellectuels. D'autre part, il nous renseigne sur 1 'influence que la condition atmospherique joue sur son organisme. Ainsi, par exemple, la chaleur de l'ete le rend incapable d'attention suivie, et cause en lui une mobilite nerveuse (I, 13, 128). De meme, les brouillards affectent 52 sa sante. Son organisme s'altere egalement par les agita- tations politiques et sociales auxquelles il est mele. Ses preoccupations intellectuelles deviennent non seulement un derivatif pour ses troubles physiques, mais aussi pour la menace que la societe presente pour lui. En psychologie moderne on dira que c'est un acte de compensa tion, une espece de mecanisme pour defendre son moi quand il est en danger. On constate par exemple que Maine de Biran accorde une place preponderante aux notions affectives de notre organisme, tels 1 1 impression, la sensibilite, la mobilite, la force, 1 'action, le besoin, etc., ce qui te- moigne d'une lutte constante a 1 'interieur de sa personne pour vaincre ses defalliances. Le renseignement suivant, qui revient souvent dans son Journal, caracterise cet etat: Quand le physique va bien, on peut se trouver mieux de 1 'inaction de la pensee; mais des qu'on n'est plus sou- tenu par des impressions vives et agreables de la sensi bilite, on sent le besoin d'y suppleer par des idees, ou par 1 'exercice de 1 'activite intellectuelle et mo rale. (II, 71) On voit done que le besoin d'action intellectuelle devient un auxiliaire pour sa defaillance physique, et puisqu'il ne peut pas toujours controler l'etat de ses or ganes, il succombe au sentiment de nullite de son existence. Il nous renseigne egalement sur le role que son etat 53 physique joue face a ses passions, parce que celles-ci sont, la plupart du temps, aveugles et involontaires, et ont leur siege dans la vie organique. Pour lui rendre le bonheur il lui faut un travail regie en proportion de ses facultes et de ses dispositions naturelles (I, 111, 123). Ce manque de sante physique cependant n'est pas la seule cause de son desequilibre moral ou intellectuel. L'agitation des evenements politiques de l'epoque eparpil- lent, tracassent, et decousent aussi son existence, si bien qu'il manque de loisir pour une meditation capable de re- tablir son equilibre intellectuel. II est trop sensible aux impressions du dehors qui le detournent de 1 'exercice regu- lier et suivi de ses facultes, exercice necessaire a un travail de portee (II, 46). Dans cette analyse des rapports entre le physique et le moral, destinee a 1 1 elaboration d'une nouvelle morale fondee sur la sensibilite, on retrouve les idees de Jean-Jacques Rousseau, dont Maine de Biran cite surtout le livre IX des Confessions. Nous sommes devant deux auteurs atteints d'une maladie physique: ils se sentent alienes de la societe, chacun a sa maniere— pour Rousseau cette alienation touche a sa situation sociale, alors que pour Maine de Biran elle provient exclusivement de son temperament timide— et en meme 54 temps ils sont tous les deux conscients de leur superiorite intellectuelle que les eleve au-dessus de cette societe. Bien qu'ils se ressemblent par maints aspects, ils different par d'autres. Par exemple, Rousseau, qui a l'age de 49 ans vivait encore d'illusions, avait besoin d'impressions du dehors pour stimuler son imagination. C'est ainsi qu'il arriva au bonheur, comme il nous le raconte dans le livre IX des Confessions, ou il nous renseigne sur 1'inspiration de La Nouvelle Heloise. Maine de Biran, en revanche, esprit scientifique, et vieillissant a l'age de 49 ans, sent que " ... l'age a detruit les illusions et dispositions amou- reuses ... " (I, 37). Aussi accorde-t-il plus d'importance aux facultes intellectuelles, comme nous l'avons deja vu. De plus, il reclame l'aide d'etres proches pour lui apporter la "bienveillance" (I, 113); enfin il demande a l'Etre su preme de lui fournir l'appui dont il manque, la "force vitale" qui pourrait subjuger ses organes alteres (II, 49). L'harmonie entre le physique et le moral C'est surtout l'etat de sante qui pour Maine de Biran determine le bonheur car l'homme ne peut jouir de 1 1exercice de ses facultes lorsqu'il est menace par la mauvaise dispo sition de ses organes. Les deux natures qui constituent l'homme doivent etre en harmonie. Ainsi la force vitale, ou la volonte, peut s1exercer librement. Il faut bien se con- naitre pour determiner le degre auquel la volonte peut exercer le fonctionnement de ses facultes. D'apres lui, chaque nature ou partie de l'individu, entraine sa propre fonction; celle de 1 'intellect consiste dans la perception des impressions et de la reflexion; celui du corps, dans le mouvement et la sensation. Comme nous le constatons, pour Maine de Biran la nature animale a besoin d'agitation, alors que la nature proprement humaine a besoin de calme. Pour le bonheur, l'homme doit pratiquer la moderation dans 1 'exer cice des activites intellectuelles aussi bien que physiques: S'il cultive trop, ou exclusivement, I'une ou 1'autre partie de lui-meme, il souffre dans le fond de son etre, il a le sentiment penible d'un besoin non satisfait. (I, 62) D'apres ses theories, il assigne plus de juridiction a la volonte, car celle-ci peut creer des mobiles d'activite pour 1 'intelligence et determiner le mouvement de nos or ganes, etant donne que ces derniers y sont disposes. Mais c'est surtout par l'acte de la volonte et de la reflexion que l'on peut distinguer les impressions du dehors, telles les passions, des impressions du dedans que nous pouvons determiner pour les assujetir. Malgre ce principe, Maine de 56 Biran eprouve une difficulte a mettre sa theorie en pra tique, comme on peut le constater constamment dans son Journal (II, 30). Il essaie de se maitriser sous l'empire des passions et il n1eprouve que sa propre incapacite. II concede alors que dans 1 'union du corps et de l'ame " ... les sensations animates les plus connues, telles que celles de la faim, de la soif et de divers appetits instinctifs, ... " (II, 30) nous donnent des sentiments confus; elles se melent aux operations intellectuelles et les obscurcissent jusqu'a les predominer, de maniere a empecher 1 'activite volontaire. La plainte d’etre soumis aux troubles orga- niques, ou a 1 1enchainement de son corps, est la source principale du malheur de 1'auteur. Son bonheur est constam ment menace par les soucis quant a sa constitution physique, et il tente de prevenir le progres des alterations orga- niques (I, 128, 151), ou du moins d'affaiblir l’empire ou 1 'influence des impressions soit spontanees, soit passives, sur lesquelles il n'a aucun pouvoir. II trouve egalement une contrainte en face des preoccu pations domestiques ou sociales et surtout devant le monde des affaires politiques, parce qu'il manque de certitude, de confiance et de l'ordre necessaires pour regler sa vie (I, 117). Nous le voyons se plaindre frequemment des devoirs et 57 des soucis engendres par sa fonction officielle. Prive notamment de la "bienveillance" de ses confreres, il cherche partout la reconnaissance de ses efforts. II se cree une agitation pour conquerir l'estime de ses collegues mais il ne la trouve qu'a la campagne parmi les gens sim ples. Maine de Biran reconnalt alors que l'on doit chercher la felicite ou le bonheur dans ce qui est en notre pouvoir: ... il faut voir ce qu'il y a en nous de libre et de volontaire et s'y attacher uniquement. Les biens, la vie, l'estime ou 1 'opinion des hommes ne sont en notre pouvoir que jusqu'a un certain point; ce n'est pas de la qu'il faut attendre le bonheur. Mais les bonnes actions, la paix de la conscience, la recherche du vrai, du bon, etc... dependent de nous; et c'est par la seulement que nous pouvons etre heureux ... (I, 163) Nous constatons que pour Maine de Biran le bonheur con- siste dans le libre exercice de ses facultes ou la volonte exerce son empire pour trouver un equilibre entre l'ame et le corps, les deux natures qui constituent l'homme. Dans cet exercice il peut atteindre son authenticity, agissant d'apres ses propres dispositions et possibilites. Nous voyons ici 1'importance de la decouverte de la force vitale"*" derriere les sensations, parce que l'appro- "L'elan vital" dont nous parle Bergson presente des analogies et aussi des differences avec cette force vitale de Maine de Biran. Pour celui-ci, 1'effort voulu, la "force vitale", est un "fait" de conscience qu'inaugure le regne 58 fondissement de l'examen des sensations et la determination de leur origine d'apres 1 'observation d'une experience, nous conduisent a distinguer les fonctions qui sont en notre pouvoir de celles qui n'en sont pas. Ainsi l'homme est mieux capable de regler sa vie au lieu de se faire des illusions chimeriques. 2 Les philosophes et les savants avaient formule des generalisations sur les fonctions des organes et avaient "compose" l'homme d'apres leurs hypotheses. Maine de Biran l'a "decompose" d'apres une realite vecue pour parvenir a la vraie essence de l'etre (Oeuvres inedites, I, xxix- de la connaissance. Pour Bergson, "l'elan vital" est un "faisant" par lequel l'esprit retrouve sa liberte creatrice, done cette "conscience motrice" reste au niveau biologique, elle donne un moi vivant, autrement dit, nous sommes dans le regne de 1 'effort vecu ou la conscience est orientee vers 1 'utilisation de l'objet, et non de 1 'effort voulu comme chez Maine de Biran. Gabriel Madinier, Conscience et mouve ment (Paris: Alcan, 1938), p. 404. 2 Jusqu'alors les philosophes dans leur analyse de l'esprit n'avaient consider! que les faits exterieurs. Descartes avait soumis sa philosophie aux hypotheses syn- thetiques (Journal, II, 40). Condillac, a la suite de Locke, se reclame de la sensation comme origine des connais- sances (I, 85; II, 43). Francis Bacon part des phenomenes pour en determiner les lois. Sa philosophie "a denature entierement les idees, de force pour ne voir que la serie des phenomenes, abstraction faite des causes quelconques qui les produisent" (III, 175). Cabanis et Tracy reduisent l'homme a la vie sensitive, ou physiologique, et ignorent le contenu de la conscience (II, 244). 59 xlviii, passim). Il envisage que le bonheur "consiste dans la possession d'une destinee en rapport avec nos facultes" (Journal, I, 22). Mais il n'est pas arrive a atteindre a ce bonheur dont il avait decouvert les elements parce qu'il ne pouvait pas contrSler son organisme. L'evasion par la spiritualite Les contraintes de la societe et celles de son organi sation physique 1 'empecherent de beneficier des jouissances auxquelles il aspirait. Lorsqu'il arrive a la vieillesse, il constate que les affections et les sentiments de sa jeu- nesse ont disparu et que "la force vitale n'eprouve plus que des resistances: ... , r (I, 151). II faut done chercher le bonheur ailleurs. Des les annees 1818 jusqu'a sa mort, on constate de plus en plus qu'il recherche l'absolu, la seule certitude, L'Etre supreme, pour s'en servir comme appui. A plusieurs reprises, avec les menaces de la vie, on le voit qui s'evade dans 1 'inspiration de 1 'infini: L'instinct animal fremit du danger personnel; ... Mais, pendant que la partie animale etait ainsi agitee d'un trouble involontaire, mon imagination s'elevait au charme de 1'infini de la nature. (I, 156) C'est a la religion qu'il demande un soutien. Il s'inspire surtout des lectures de Fenelon et de 1'Imitation de Jesus- Christ, qu'il prend pour guides. II a recours a la priere 60 pour aneantir son corps, source de ses ennuis. C'est la religion qui lui (a l'homme) " ... inspire le besoin de cette independance legitime a laguelle il ne renonce que lorsqu'il ne trouve plus en lui-meme rien qui merite d'etre honore et defendu." (II, 7) C'est elle, la religion, qui lui apporte le secours de la conscience et de la paix auquel il aspire. Dans cette retraite interieure, les troubles et les injustices du monde ne peuvent plus l'atteindre. Dans cette sphere elevee, il peut juger avec calme des evenements qui se succedent et agitent le monde. Le bonheur final, Maine de Biran le trouve en Dieu, auquel il subordonne son moi; ainsi il goute le calme et le repos de l'ame en repoussant toutes les passions, tous les mouvements des sens qui troublent la raison. Et l'ame, dans sa fonction propre, eprouve des joies autres que celles des sens. C'est dans l'ame que nous avons le sentiment du vrai et de l'absolu, lorsque les sensations et tout ce que comporte la vie animale ne nous laisse qu'une image illusoire (III, 163). C'est par le moi qui se manifeste a notre interieur, que l'homme se connalt, qu'il s'apergoit "ce qui est de lui et le distingue de ce qui est du corps" (III, 216). 61 La grande decouverte de 1'interiorite biranienne, qui s'eleve vers l'absolu ou elle trouve sa vraie manifestation, deviendra, a la fin du siecle, un nouveau point de repaire pour une conscience angoissee encore et toujours par des troubles de son epoque.^ Par l1analyse de son existence, par 1'aspect de l'in- teriorite, Maine de Biran rejoint la grande tradition fran- qaise de Montaigne, Descartes et Pascal. Toute cette tra dition insiste que la dignite de l'homme reside dans la reflexion. En meme temps, notre auteur fait figure de pre- cur seur des temps modernes en donnant une nouvelle direction a la philosophie, comme nous le verrons dans le developpe- ment de la phenomenologie. L1 existence L'auteur du Journal envisage l'existence comme une succession d'etats qui ne se ressemblent pas (Journal, III, 10), fait penible du a la faiblesse de sa constitution physique, comme il le note constamment dans son Journal. ... j'ai eprouve une chute dans toutes mes facultes organiques, et, a la suite, un mouvement de bile qui m'a rendu l'existence tres penible pendant quatre a 3 - Nous faisons ici allusion a l'angoisse metaphysique causee par le progres scientifique, notamment chez Barres. 62 cinq jours; ... (I, 18) D'apres lui, l'homme se congoit comme etre actif et force virtuelle, c'est-a-dire qu'il se sent et se sait exister comme une personne libre et intelligente. Et cela constitue le moi, premier terme de toute relation. Ce sen timent d'existence individuelle est necessaire des l'abord, car L'ame ne se sent exister que par 1'effort qui est son mode fondamental et il faut qu'elle se sente exis ter pour avoir une perception distincte quelconque. (Oeuvres, XIII, 258) Avant 1'action, dit-il, il y a l'existence. L'existence absolue. C'est l'existence qui traverse l'ame, le cerveau, les organes, avant de se faire connaitre a la pensee. Done le fait primitif de l'existence, c'est la conscience du moi. Le biranisme est surtout une philosophie de l'existence, dans laquelle le philosophe poursuit deux themes: d'une part, 1 'origine de la conscience et 1 'aperception immediate du moi, de 1 'autre 1 'etude du fait primitif. Le centre de la doctrine de Maine de Biran est 1'expe rience metaphysique, dans laquelle l'homme se connait comme moi et comme cause efficace. Cette question de decider ce qui est actif et ce qui est passif, ce qui est l'interieur de l'homme et ce qui est l'exterieur, nous l'examinerons ci-dessous. 63 Selon Maine de Biran, il faut aussi croire a l'exis tence reelle d'un etre qui preexistait a 1 'action et qui dure apres celle-ci. Vers la fin da sa vie, dans sa Note sur I1idee de l'existence, il a constate qu'il faut veiller ... a ne pas confondre la notion indeterminee de la cause ou force en soi, dont nous ne pouvons nous empe- cher de croire la realite absolue, et l'idee ou la representation particuliere de ce que peut etre cette cause relativement a nos moyens de connaitre ou de nous representer objectivement les existences particulieres; en ce sens, il est vrai de dire que nous n'avons l'idee ... d'aucune force autre que celle du moi, manifestee immediatement a la conscience, ... mais cela n'empeche pas que nous n'affirmions avec une croyance intime, l'existence reelle de la cause efficiente de tout mouvement qui commence dans 1 'espace ou le temps, en y comprenant ceux qui s'operent en nous ... sans le sen timent de notre force propre. (Oeuvres, XIV, 75-76) Pour Maine de Biran, le premiere probleme du philo- sophe, est celui de la nature et de la valeur de 1 'idee d'existence, probleme metaphysique et non psychologique, d'apres lequel on peut determiner la valeur de 1 'idee d'existence en connaissant les elements qui entrent dans la composition de cette idee, ainsi que 1 'origine et la nature de ces elements. Comme nous l'avons vu dans le Journal, Maine de Biran crut avoir resolu ce probleme de la nature de l'idee d'exis tence dans sa jeunesse, mais jusqu'a 1824 il n'a pas cesse de le considerer, et il a fini par 1 'exprimer dans ce long 64 ouvrage, dont nous venons de donner un petit apergu. Avec l'age, ±1 regrette d'avoir passe tant de temps a s'occuper de l'existence individuelle et des facultes du moi, et de tout ce qui est donne a l'ame ou a la sensi- bilite et regu par les organes. Et n'ai pas considere [ecrit-il en 1823] les tendances objectives ou le but de cette activite interne, d'une part, de toutes ces facultes passives organiques ou spirituelles, d'autre part; ... (Journal, II, 376) Fort avance en age, poursuit-il, il a meprise tout ce qui l'avait occupe auparavant. Il s'est reproche d 'avoir employe sa vie sans s'occuper de 1 'edifice approprie a l'humanite. Et maintenant (une annee avant sa mort), il se sent un peu vieux pour recommencer cette construction. Les sensations passives et actives Pour comprendre la demarche de l'existence, Maine de Biran distingue deux sources d'impressions dans 1'expe rience. Nous avons d'abord des impressions passives, aux- quelles il donne le terme de sensation, parce qu'elles viennent du dehors et n'ont pas besoin d'un mouvement in- terieur pour se manifester. D'ailleurs, il faut reconnaitre que le terme impression implique un mouvement qui se mani- feste dans un etre organise et vivant. Puis, nous avons 65 des impressions actives, auxquelles Maine de Biran reserve le terme de perceptions parce que le moi, qui est le sujet, se modifie en quelque sorte en les recevant: on parle ainsi de son action. On peut exprimer cette relation du sujet a la sensation par la modification que le sujet eprouve. Si done la modification qui resulte de la sensation s'opere sans la participation du sujet, c1est-a-dire, que le sujet ne peut ni 1 1interrompre ni la changer, elle est dite, "spontanee" ou passive; cela est le cas lorsqu'on "sent" la variation atmospherique, ou le jeu interne se produit dans le moi sans le moi. Ce phenomene est envisage dans la cons cience . Selon Maine de Biran, cette activite passive differe radicalement de l1activite motrice en ce que celle-ci est cause du mouvement dans le moi soit par la perception de la sensation, soit par 1 'action que l'on transmet a l'organe ou a une faculte. Dans les impressions actives, 1'activite motrice est done evidente, et c'est le moi qui cree la modi fication parce qu'il peut la changer, la suspendre, ou la commencer. Dans le moi la conscience de cette activite est egale a la modification (Oeuvres, II, 14-16, passim). Ce schema peut aider a comprendre 1'experience de l'existence a partir de l'acte de la volonte qui joue le 66 role le plus important dans 1'epistemologie biranienne. La differentiation des sensations et des perceptions marque la separation de notre auteur de l'ecole ideologiste, et sera, comme nous le verrons, le point de depart vers une nouvelle optique. La volonte Tisserand nous dit que "pendant longtemps Maine de 4 Biran a ete considere comme le philosophe de la volonte," et que cette theorie de la volonte a "sa place marquee dans I'histoire de la philosophie frangaise."^ La theorie de l1effort conduit Maine de Biran enfin a la nature et au premier commencement de la volonte. "L1ef fort vecu," nous dit-il, nous revele, en effet, la veritable causalite; il cons- titue une experience metaphysique que permet au sujet de se connaitre soi-meme en decouvrant son pouvoir d'effectuation et, dans le raeme mouvement, de penetrer la nature de la cause ... Le moi se sait cause de cer- taines des modifications qui se produisent en lui et il suit cette cause jusque dans les effets qu'elle pro- duit; pour cela, il n'a pas besoin de vouloir singu- lierement et successivement les moyens dont il dispose: il lui suffit de vouloir la fin. (Oeuvres, XI, 410) 4 - P. Tisserand, "La fecondite des idees philosophiques de Maine de Biran," Bulletin de la Societe frangaise de philo sophie, 24, No. 2-3 (mai-juillet 1924), 38. 5 - e Felix Ravaisson, La Philosophie en France au XIX siecle (Paris: Hachette, 1904), pp. 15-16. 67 Maine de Biran est d1accord avec Locke que 1'effort vecu dans son unite et sa singularity est la force du moi dans une seule experience et que la volition n'est que cette determination particuliere par laquelle l'ame fait un effort pour produire un mouvement qu'elle sait etre dans son pou voir. Ici Maine de Biran adopte une position qui fait l'ori- ginalite de sa philosophie. Il constate que les deux ter- mes, la cause et l'effet, ne peuvent etre connus que dans leur relation mutuelle. "En affirmant la connexion, ... entre deux elements necessaires d'un meme fait, conclut-il, nous ne faisons qu1exprimer le fait primitif de conscience, nous n'allons point au-dela" (Oeuvres, XI, 410). Destutt de Tracy a precede Maine de Biran en eclairant la nature de la volonte selon la voie psychologique. Dans son Memoire sur la faculte de penser, Tracy a constate que seule la faculte de faire un mouvement nous apprend qu'il existe ce que nous appelons des corps, et elle nous apprend, par la resistance que ces corps opposent a nos mouvements, que "cette faculte que j'appelle la motilite, est done le g seul lien entre notre moi et l'univers visible." ^Destutt de Tracy, Elements d1ideologie (Paris: Cou rier, 1817), I, 4-6. 68 Tracy n'a pas compris 1'importance de sa decouverte; Maine de Biran le depasse en constatant qu'il n'y a pas de sentiment de volonte s'il n'y a pas en meme temps sentiment de resistance. D'apres lui, 1'effort entraine la perception d'un rapport entre l'etre qui meut ou veut mouvoir et un obstacle quelconque qui s1 oppose a son mouvement. En 1813 Maine de Biran continue a preciser ses idees dans une note, Nature de l1influence de la volonte sur le corps. Comment comprendre l1influence de la volonte sur le corps? demande-t-il. 11 se rend compte que La determination de 1'effort et cet effort actuel ne sont separes par aucun intermediaire sensible et s'iden- tifient completement ou sont indivisibles dans l'acte instantane de la conscience. (Oeuvres, X, 23) II conclut done, que la volonte est la puissance de mouvoir et voila tout. "Vouloir [dit-il] n'est point preferer ou choisir ... e'est agir, mouvoir" (X, 23). Si l'on admet le moindre intervalle, declare Maine de Biran, entre un acte du vouloir et son effet, on denature l'acte et detruit la force meme dans son principe. Le biranisme est une philosophie dans laquelle je pense 7 devient jeveux. 7 Pour le sens de "je veux", voir infra, pp. 98-99. 69 Pour Kant, qui avait subi 1*influence des "sensua- listes" a la meme epoque que Maine de Biran, la connaissance c'est reunir les faits, et Maine de Biran ajoute que c'est l'acte de reunir qui devient efficace grace a la volonte. Nous voyons que 1'initiative de Maine de Biran reside dans l'art d'apercevoir les rapports des faits avec leurs conse quences et leurs causes. Sous diverses formes le Journal analyse en particulier les variations de la volonte confrontee aux situations et aux experiences sensibles de toute une vie humaine. Maine de Biran pousse jusqu'au bout le principe de la motilite comme origine et condition d'exercice de nos facultes in- tellectuelles principe formule par Tracy, en y ajoutant la decouverte, par Cabanis, des sensations internes, pour arriver a la conclusion que 1 1activite motrice volontaire nous donne les perceptions qui se distinguent des sensations Q parce que celles-ci manquent cette activite. Dans cette analyse, il constate que l'habitude affaiblit toutes nos impressions des qu'elles se repetent; mais alors qu'elle obscurcit, jusqu'a les faire evanouir, les sensations, elle g Victor Delbos, "Vue et conclusion d'ensemble sur la philosophie de Maine de Biran," Bulletin de la Societe fran- gaise de Philosophie, 24, No. 2-3 (mai-juillet 1924), 85. 70 rend les perceptions plus aisees et plus distinctes (Delbos, p. 85). C'est dans le resistance a une force etrangere que la volonte se manifeste (Chapelan, p. 55). Nous suivons le developpement de notre faculte de pen- ser a partir de la volonte/ ce qui niene au dualisme profond de la vie psychologique. Celle-ci distingue la necessite d'une representation objective de la causalite de la vie psychologique interieure, ou la conscience de 1 'effort volontaire est la conscience du moi cause (Delbos, "Vue et conclusion/" p. 87). Selon Maine de Biran, la volonte est la base de nos connaissances. II distingue la partie organique ou in- volontaire de la partie intellectuelle ou volontaire de notre constitution pour etablir 1 'empire exact de la vo lonte. C'est ainsi que, suivant la pensee de Fenelon, par exemple, il constate que la volonte n'a aucune influence sur les passions parce que celle-ci ne fait pas naitre 1 'emotion (Journal, I, 111). En meme temps, il nous renseigne sur le role des organes alteres qui affaiblissent ou obscurcissent notre raison (II, 50). C'est cette situation ou il se trouve constamment qui lui rend la vie penible et sujette a 1 'introspection. Il entreprend de determiner psycholo- giquement jusqu'ou peut s'etendre 1 'empire de la volonte. 71 soit sur les sensations, soit sur les idees, soit enfin sur les sentiments (II, 89). II arrive a constater que "la volonte n'a qu'un empire tres limite sur la suite de nos idees, sur la qualite et le choix de celles qui nous occu- pent et qui s'attachent a nous, ... " (II, 149). Par con sequent, afin d'atteindre a la paix interieure ou a l'etat d'equilibre que la religion ou la lecture par exemple peu- vent lui procurer, malgre ses variations, l'homme a besoin de secours exterieurs. Bien qu'il s'apergoive ne pas pouvoir maitriser cette volonte, il decouvre cependant qu'elle est a la base de nos actions, car elle est a l'origine de toutes nos facultes qui „ 9 sont les modifications de la volonte, et surtout de notre reflexion et de notre vie morale. II nous dit en effet: II faut que l'homme sache que sa volonte et non pas les objets etrangers, le constitue ce qu'il est: per- sonne morale, intelligente et libre par essence. (Jour nal , I, 85) Pourtant il est paradoxal que Maine de Biran ait mis 11 ac cent sur la volonte et qu'il soit en meme temps celui qui ait souffert le plus de sa propre incapacite a 1 'action, g Jose Ferrater Mora, "Maine de Biran," Diccionario de filosofia, 4me ed. (Buenos Aires: Editorial Sudamericana, 1958), p. 848. 72 etant toujours aux prises avec les resistances qui l'arre- taient et le paralysaient. Neanmoins Maine de Biran trouve le courage d'affronter Napoleon et montre ainsi la raaitrise de sa volonte^ mais, en revanche, il n'a jamais pu tenir tete a sa belle-soeur qui domina la vie de ses enfants. De meme, son etat ner- veux et la faiblesse de sa constitution physique rendent sa volonte incapable de se concentrer sur un travail suivi qu'exige 1'organisation de ses idees et leur liaison (Jour nal , II, 221). A la Chambre il se sent hors de la societe a cause de sa timidite qu'il ne peut non plus maitriser (I, 26) . Comme nous voyons, la tragedie de la vie de Maine de Biran tient a la lucidite de decouvrir un des principaux ressorts de 1 'action dont il n'a pas pu se servir lui-meme. La phenomenologie En distinguant les impressions volontaires des impres sions involontaires qui forment nos connaissances, Maine de ^Louis Lavelle, "Maine de Biran: L'homme et le phi- losophe," Bulletin de 1'Association Guillaume Bude, N.s. 8 (decembre 1949), 77-78. ■^Henri Gouhier, ed., Maine de Biran: Oeuvres choisies (Paris: Aubier, "Montaigne," 1942), pp. 10-11. 73 Biran arrive a 1'analyse de nos perceptions du monde exte- rieur auquel il applique une nouvelle methods d'investiga tion. La connaissance des phenomenes ainsi con9us lancera la philosophie dans une voie plus concrete par le moyen de l'experience individuelle et subjective du sujet envisage. Ce ne sont plus les substances que l’on connait mais leurs manifestations qui deviennent l'objet de notre obser vation (Gouhier, Conversions, p. 100). Ainsi il nous dit: " ... on se trompe toujours en attribuant aux choses du dehors une influence qu'elles nront pas et en negligeant de tenir compte de nos propres disposi tions; ... " (Journal, I, 152). Le point de vue de Maine de Biran constitue deja le germe de la "phenomenologie," qui a la fin du XIXe siecle sera formulee par Husserl. La phenomenologie aborde de nouveau l'experience con crete des phenomenes par la recherche directe des faits de la conscience, sans la theorie d'une explication causale, theorie aussi depourvue de presuppositions conceptuelles qui ne sont pas examinees, pour les decrire aussi meticuleuse- ment que possible. Pour Maine de Biran, toute connaissance reside dans la volonte qui participe du moi et qui, a tra- vers ses dispositions, a besoin du corps pour faire l'expe rience des phenomenes et ainsi du monde. Selon Henri, 74 "Maine de Biran est le premier philosophe qui a compris la necessite de determiner originairement notre corps cornrae un corps subjectif," et il le classe coitime "le veritable fonda- 12 teur d'une science phenomenologique de la realite humaine." Maine de Biran introduit le psychisme dans la philo sophie; il constate que les categories sont des pouvoirs du moi ou des modes fondamentaux de la vie, soit des determi nants premiers de 1'existence. Ces categories n'appartien- nent plus a une theorie de la raison ou de 1 'entendement, comme le supposaient les philosophes avant lui; elles sont une maniere de vivre le monde, une structure de la vie natu- relle: dans le biranisme elles deviennent la theorie de l'existence (Henry, p. 45). Ainsi, les choses deviennent des realites par la manifestation de la causalite, ou des categories de force, d'unite, de liberte, d'identite que notre moi eprouve. Dans cette perspective, "le biranisme est peut-etre la seule philosophie qui se propose de nous donner une theorie ontologique du moi" (p. 50). D'autre part, c'est l'experience interne qui nous apporte la con naissance du monde. En effet, toute la philosophie 12 Michel Henry, Maine de Biran; Philosophie et phe nomenologie du corps (Paris: Presses Universitaires de France, 1965), p. 12. 75 biranienne consiste dans 1 1 affirmation que le sentiment de 1'action n'est pas le resultat d'une sensation. Considera tion importante parce que 1 1 action est comme en elle-meme, en tant qu'elle est un fait en relation de connaissance immediate avec ce fait lui-meme (p. 45). C'est pourquoi en analysant la sensation Maine de Biran affirme a la fois la realite transcendantale du sentir et l'etre transcendant de la sensation (p. 50). Ainsi la sensation kinesthetique est a l'origine de la connaissance du mouvement de notre corps, de sorte que c'est seulement par 1 'intermediaire de cette sensation que pourra s'etablir le rapport de nos mouvements avec nos images (p. 122) . Notre corps apparalt comme configuration spatiale; il est aussi le milieu ou s'accomplissent un nombre de de placements objectifs et de mouvements par lesquels ce corps entre en contact avec les corps exterieurs; il se heurte a eux, les attire ou les repousse (p. 150). De plus, c'est par les sens, l'oeil, la vue, le toucher, que le corps se manifeste a notre conscience. Nous voyons ici que Maine de Biran introduit une nou- velle methode pour analyser la realite concrete, methode qui depend d'un nouveau concept des "categories". Pour Kant, 76 par exemple, les "categories" sont des concepts fondamentaux de 1 'entendement pur, c'est-a-dire des formes a priori de notre connaissance, representant toutes les fonctions essen- tielles de la pensee discursive. Celles-ci dependent du temps et de l'espace, elles appartiennent done au monde exterieur de la conscience. Maine de Biran les "interio- rise", et leur dependance derive de nos dispositions grace a 1 'action de la volonte. On constate ici une nouvelle "optique" des connais- sances qui s'ecarte de l'absolu pour arriver au relatif. Cette action de la volonte necessaire a la connaissance des choses deviendra plus tard, avec Husserl et ses disciples, "1 1intentionalite", terme cle qui est a la base de la pheno menologie moderne. L'element important a retenir ici c'est que nous sommes introduits a une nouvelle optique ou le monde existe en fonction de notre moi en ce qu'il nous ap- porte "affectabilite et sensation". ... la difficulte [nous dit Maine de Biran] est inhe- rente aux choses memes ou au point de vue dans lequel il faut se placer pour les entendre. Si l'on pouvait convenir de la valeur precise d'un seul mot tel que perception, on s'entendrait sur tous les autres, et toute la science psychologique serait faite et enten- due uniformement, ... savoir ce que c'est precisement que percevoir, tant de la part du sujet qui pergoit que de la part de l'objet pergu, si cet objet n'existe pour nous qu'autant que nous le percevons ou si nous ne le percevons que parce qu'il existe; ... (Journal, II, 144-45) 77 Autrement dit, nous ne pouvons pas connaltre les substances mais seulement leur manifestation lorsqu'elles tombent dans le champ de nos sensations et perceptions. Nous n'avons donne ici qu'un aper<ju du developpement phenomenologique en tant que fonction de 1*existence. Nous allons le poursuivre ci-apres dans son rapport avec le moi. Le r5le de Dieu La sensibilite, qui provient a partir du derangement des troubles gastriques de notre auteur l'ont pousse a chercher dans son interieur les mobiles qui puissent lui conferer et la verite de sa personne et l'absolu, source de consolation. Comme nous l'avons vu, il trouve la verite de sa personne dans le fait primitif, le moi, sujet et objet de toute connaissance grace a sa volonte. En reflechissant sur son existence, Maine de Biran s'emploie a rechercher dans le fonds de son etre, dans son ame, I'idee de Dieu: en effet, il constate que le "royaume de Dieu, c'est la vie de I1es prit, qui n 1 arrive que pour l'homme interieur; ... " (Jour nal , III, 214). Ce point d'appui impossible a trouver ail- leurs, doit donner au reste de son existence le but qui lui manque (I, 24 3). Dieu devient pour lui le refuge dans son sein, une garantie contre le desespoir: 78 II faut s'attacher aujourd'hui au seul etre qui reste immuable, qui est la source vraie de nos consolations dans le present et de nos esperances dans l'avenir. (I, 66) Dans le Journal, Maine de Biran nous fait suivre un itineraire a 1 'interieur de son ame ou il cherche les mo biles propres a son bonheur. Il part du sensualisme empi- rique de Condillac dont il suit la methode logique de 1 'analyse, pour arriver a ses nouvelles theories qui con- cretisent la structure de la pensee. II distingue par exemple la part passive de l'ame dans les operations in- volontaires, habituelles et inconscientes, de sa part active dans les mouvements volontaires et conscients. Dans ses premiers ecrits, il s'attarde sur le stoicisrae ou il de- couvre le fait primordial de nos actions dans la volonte et 1'effort. A l'age mur, accable par la faiblesse de ses organes qu'il ne peut plus maitriser, il s'etend au pied de la Croix qui devient pour lui la soumission totale a Dieu et marque 1'abandon par etapes de son corps et de son moi. Sa philosophie part des faits de la conscience pour s'elever de la connaissance humaine a la connaissance de Dieu. II croit a un sens particulier, plus intimement lie a l'ame, dont l'exercice est le jeu de certains etats de notre organisation actuelle, de meme que les variations des 79 saisons de l'annee, font naitre ou developpent le sentiment religieux ou l'idee de la divinite. C'est une verite d'experience interieure (II/ 167). On trouve dans le Journal, des les annees 1818, une nouvelle phase d1 inspiration religieuse qui revele les sou- cis de Maine de Biran. Il devient plus meditatif et s'a- donne de plus en plus a la lecture de L1Imitation de Jesus- Christ, et surtout a celle de Fenelon et de Marc-Aurele, ou il trouve le reflet de son ame et de ses souffranees. Il etablit done un plaidoyer au nom de la religion. Ainsi la religion dit-il, nous ouvre tous les tresors quelle que soit la maniere qu'on ait vecu (II, 169). Le sentiment de Dieu eleve son ame au-dessus de toutes les contingences et de toutes choses passageres (II, 95). Dans le Journal, de 1814 a 1818, on trouve que Dieu revet un r5le plus humain. Maine de Biran a besoin de Lui pour sou- lager sa conscience; de meme qu'il a besoin de la bien- veillance de la societe. Il a " ... un noble desir de se rendre agreable a Dieu en tirant le meilleur parti possible des facultes qu'il nous a donnees, et de gagner la palme d'une meilleure vie; ... " (I, 87). Pour lui, la religion, ou l'idee de Dieu est un senti ment plutot qu'une croyance de 1 'esprit, et cette croyance 80 est subordonnee au sentiment (I, 39; II/ 7). Ici nous voyons la difference radicale avec la pensee de Pascal qui affirme que l'idee de Dieu est une croyance parce que l1on ne peut la prouver par 1'esprit de geometrie. Quant a Descartes, celui-ci fait un saut artificiel pour arriver a 1'existence de Dieu qu'il demontre par le raisonnement logique. Nous voyons done que pour Maine de Biran le sentiment religieux se developpe a mesure qu'il avance en age. ... les passions etant calmees [nous dit-il], 1 'imagi nation et la sensibilite moins excitees ou excitables, la raison est moins troublee dans son exercice, moins offusquee par les images ou les affections qui l'absor- baient. (II, 127) A la fin de sa vie il a besoin du repos intellectuel et aussi de la garantie de l'absolu auquel il voudrait s'atta- cher. Il nous dit: " ... les idees ou les sentiments religieux seraient a present les besoins de mon esprit et de mon coeur; ... " (II, 118) . Au mois d'octobre 1823 Maine de Biran decrit dans son Journal la difference entre le christianisme et le stoi- cisme. Le christianisme est plutot un exercice de la sensi bilite de l'ame, ou de 1 'amour, qu'un emploi de la force propre ou de la raison; le stoicisme au contraire est un pur exercice de la force, de la raison: il est 81 tout orgueil, durete. (Ill, 202) Cette sensibilite de l'ame, croit-il, n'a pas ses ali ments en elle-meme mais les attend du dehors ou d'en haut. Il se soumet done par besoin a la priere. L1arrivee au christianisme marque la fin du long voyage philosophique que Maine de Biran a fait des sa jeunesse et medite dans son Journal des l'annee 1794, et qui commence avec Marc-Aurele et finit par Jesus-Christ. Quelques mois avant sa mort il essaie de justifier sa vie en se plongeant dans la solitude. L'homme exterieur se detruit, l'homme interieur se renouvelle. Agir, mediter et prier sans cesse [continue-t-il], voila les seuls moyens du renouvellement de l'homme interieur. (Ill, 214) L'experience, selon Maine de Biran, prouve qu'agir, mediter, prier sont les conditions necessaires au developpe- ment de la vie de 1 'esprit, et qu'il n'importe pas que l'homme animal soit triste ou gai. La plus parfaite harmo- nie entre l'organisme animal et 1 'automate intellectuel ne constitue pas la vie de l'homme spirituel. Maine de Biran fait reference aux trois vies de l'homme, une conception qui l'a preoccupe les dernieres annees de sa vie. Cette troisieme vie, la vie spirituelle, 82 "est superieure, non seulement a 1'instinct de 1'animalite, mais encore a I1instinct de l'humanite, ... " (III, 215). II constate que la vie de 1 'esprit commence a luire avec le premier effort voulu: le moi se manifeste et l'homme commence a se connaitre. L'affaiblissement des facultes de l'homme exterieur fournit a l'homme interieur des moyens de renouvellement. Pour Maine de Biran ce re- nouvellement est de grande importance et est obtenu par une meditation soutenue et par une priere fervente qui fait que l'ame s'eleve vers Dieu. Huit jours plus tarde il est encore occupe avec ces idees, et ecrit: L'homme interieur est spirituel comme l'homme exte rieur est necessairement charnel. Mon Dieu! Delivrez-moi du mal ... c'est-a-dire de cet etat du corps qui offusque et absorbe toutes les facultes de mon ame ... soutenez-moi contre toute ma faiblesse: sans vous, je ne puis rien! ... (Ill, 217-18) Au mois de mai, 1824, les dernieres notes ecrites avant sa mort, il reflechit encore sur la difference entre le stoicisme et le christianisme. S'il y avait quelque moyen de nous empecher de tomber dans un aneantissement inexpri- mable, combien la philosophie qui nous fournirait de tels 83 moyens serait plus utile, ... que toute cette philo sophie stoicienne, qui ne considere l'homme que dans ce seul etat de force, d'elevation, d'equilibre ou il n'a besoin d'aucune philosophie. (Ill, 218) Du point de vue de Maine de Biran, la religion chre- tienne nous donne de bonnes pensees qui 11'empechent pas de sentir la souffranee, mais qui peuvent faire "que l'ame se rejouisse interieurement de souffrir; ... " (III, 218). La conscience Pour Maine de Biran la conscience, ou le coeur, est un organe qui nous fait sentir notre existence, puisqu'il nous fait sentir nos rapports (aux etres) et aux choses qui sont hors de nous, tandis que les autres organes ne nous font sentir que les rapports des choses exteri- eures a nous.-*-^ Cette definition derivee des lectures de Hemsterhuis coin cide avec ses propres experiences. Le Journal temoigne surtout de la decouverte des mysteres que ce monde interieur lui revele. C'est a ce titre que Maine de Biran se voit tel un Christophe Colomb dans le domaine de la psychologie. A travers l'histoire, les auteurs qui examinerent la 13 - Definition de Hemsterhuis, "Lettre sur l'homme et ses rapports," Oeuvres philosophiques de F. Hemsterhuis (Paris: Jansen, 1809), p. 189, cite par Maine de Biran, Journal, I, 75. 84 conscience, coniine saint Augustin et Rousseau, effectuerent une prise de conscience pour ecarter le sentiment de la culpabilite qu'ils eprouverent a l'egard de leurs actions passees, et en firent une justification morale. Leurs "confessions" constituerent done une analyse retrospective a des fins ethiques, alors que le genre de "confession" de Maine de Biran est une analyse contemporaine, prise sur le vif et ou la conscience devient le carrefour de nos con- naissances, de nos actions et de nos sentiments, et c'est en tant qu'oeuvre heuristique qu'elle nous renseigne sur son contenu. Il voit trois "faces" dans la fonction de la cons cience: d'abord la conscience morale ou la "face" qui se tourne vers les autres ames qui leur manifeste par "cer- taines signes naturels ou arbitraires des impressions et affections comme des operations actives et intellectuelles pareilles aux siennes; ... " (Journal, II, 123). II appelle la deuxieme "face" de la fonction de la conscience, la conscience personnelle. Selon lui, elle se trouve a la base de toute philosophie, parce qu'elle est "toute en elle-meme, en faisant abstraction de tout le reste; ... " (II, 122-23). Finalement, par la troisieme "face" qu'il appelle la cons cience rationnelle, 85 ... l'ame est tournee vers la realite, la verite abso- lue qui est Dieu, et entend les choses comme elles sont et s'entend elle-meme; elle se met hors et au-dessus des lois de la sensibilite pour se juger ... (II, 123) Pour lui, cette triple division de la conscience peut servir de rapport entre les trois divisions de I1existence humaine: la vie organique, la vie intellectuelle, et la vie spirituelle. Cet aspect sera analyse plus loin. En rea lite, notre auteur essaie de distinguer les sieges de juge- ment que l'homme porte en lui et qui sont de nature diffe- rente: la premiere, de caractere physiologique, puisqu'elle nous revele le monde exterieur par nos sensations et nos organes; la seconde, de caractere psychologique, puisqu'elle nous renseigne sur nos etats d'ame; tandis que la troisieme est une conception theologique ou Dieu se fait entendre dans 1 ' ame. En analysant, dans son experience, les trois modes d'existence, Maine de Biran parvient a sa philosophie, a sa psychologie et a sa morale, qui toutes trois constituent la science de l'homme ou "anthropologie". Il nous presente aussi les differents aspects de la conscience, soit d'une part les donnees immediates de la conscience, telles que la volonte et la reflexion, 1 1aperception et 1 'intuition, soit d'autre part les donnees spontanees de la conscience, tels 86 que la motilite, la sensation, les passions. La recherche de la personne a travers une conscience Les differents aspects de 1'existence apportent a Maine de Biran des variations de sa personnalite a travers son experience de la vie, dont il essaie d'isoler les mobiles pour les analyser. C'est ainsi qu'il releve les differentes fonctions propres a ses facultes physiques et psychiques. II constate, par exemple, que l'ame de l'homme sent et juge. En effet, ... tout pour l'ame se reduit a sentir [nous dit-il]; il n'y a pour elle que des sensations et des combinai- sons ou des resultats de sensations, avec ce principe sur lequel toute la morale est fondee; ... (I, 85) Nous voyons que l'homme porte en lui la faculte de discerner entre les impressions du dehors et celles du dedans pour atteindre la realite des choses. Cette faculte est a sa portee grace a la reflexion. Ainsi 1*effort que fait l'homme qui s'arrache au monde exterieur pour s'etudier et se connaitre, le dispose a "recevoir et a saisir le vrai, et [il] se desinteresse pour tout ce qui ne porte pas ce carac tere" (I, 240). Notre auteur nous montre que les mobiles de 1'activite sont de deux natures differentes: celles de la vie exterieure qui depend des sensations, des passions, et de 1 1 imagination, et celles de la vie interieure qui suscitent la reflexion, la volonte et la perception. Ces mobiles influent sur notre etat moral et physique de maniere a nous procurer soit la jouissance de la vie soit la melancolie. II nous fait part de ses decouvertes a 1 'interieur de son intimite par l'examen minutieux de chaque experience qu'il eprouve. Le lecteur participe avec 11 auteur a 11 experience de ses affections; il entre dans un rapport plus intime avec celui-ci. II s'en produit un effet de catharsis qui ajoute au plaisir esthetique et ethique de l1oeuvre. Nous pouvons constater cette nouvelle demarche litteraire dans les oeu vres de Sartre et surtout dans celles de l’ecole du "nouveau roman" ou le romancier essaie de se mettre dans un rapport semblable avec le lecteur auquel il fait partager son expe rience, Ainsi, Maine de Biran, en decrivant son "ennui", ses "angoisses", son "mecontentement" avec soi-meme et par suite avec le monde (II, 45; I, 234), invite le lecteur a eprouver un meme mecontentement a la meme epoque ou dans une situation anterieure. Alors qu'il lit, le lecteur s'analyse en meme temps que 1 'auteur, et ainsi voit plus clair en lui- meme. Le Journal devient done pour le lecteur une espece de "therapeutique", par la decouverte des forces occultes qui 88 agissent dans son interieur, et l'aide a definir sa person- nalite. Decrivant les mobiles de nos mouvements, il nous montre la necessite du monde des "apparences" auquel nous sommes soumis et qui provoquent un changement dans notre personnalite {II, 11). L'homme ne vit pas seul dans le monde, et il a besoin d'etre en harmonie avec son milieu. La confrontation avec soi-meme a 1 'interieur de sa conscience releve ce qu'il y a de bon en nous afin de le mettre a bon usage (II, 7), etant donne que nous sommes libres d'agir et de diriger notre reflexion dans chaque action selon notre nature propre. Rene Le Senne constate qu' ... il est indispensable a tout homme de se connaitre dans son universalite humaine et dans son originalite individuelle pour obtenir de ces determinations pro- fondes qu'elles. ... favorisent sa recherche spiri- tuelles; ... ^ Dans son Journal Maine de Biran recherche les causes des aspects contrariants de notre nature ou, notamment les modifications cenesthesiques. Il se preoccupe du jeu de sa sensibilite, tant affective qu'organique, jusque dans la reapparition continuelle de ses etats d'incapacite, de 14 Michele Leleu, Les Journaux intimes, Avant-propos de Rene Le Senne {Paris: Presses Universitaires de France, 1952), p. x. faiblesse, de trouble, d'ennui, etc., qui prennent un caractere maladif. C'est la aussi l'origine de son gout pour la solitude ou il peut mieux mesurer sa crainte et son inadaptation. Grace a cette penetration, il arrive a la conclusion que "la religion et 1 1 etude sont les deux puis sances qui nous defendent contre cette preoccupation habi- tuelle de nous-memes, source feconde d 1 inquietude" (Journal, II, 279). Le moi Selon Maine de Biran, le moi de l'individu est "dans la volonte, dans sa libre activite, et non dans ce qui est sensation ou passion en lui; ... " (II, 336) parce que c'est par la manifestation de la personnalite, de la conscience de soi et de la volonte que se constitue le moi (Gouhier, Con versions , p. 12). D'autre part, la conscience du moi s'eveille par une volonte de mouvoir qui precede l'inertie musculaire (p. 193). Pour bien se connaitre, Maine de Biran analyse toutes les actions et les impressions qui lui arrivent de 1 'exte rieur, ainsi que celles qu'il eprouve a 1 'interieur de lui- meme comme nous l'avons vu plus haut. Il constate que le "moi" est le centre de toute connaissance parce qu'il s'apergoit en meme temps en tant que sujet et objet; il est 90 done cause et effet de nos actions. Il est cause quand il s'exerce tour a tour dans les differentes parties du corps sans s'identifier a aucune d'entr'elles et grace a 1 'effort de la volonte qui se manifeste dans une action, et il est effet par la sensation qui en resulte. Le moi est une substance et une cause, qui ne sont ex- perimentees comme telles, mais qui sont comprises a titre de consequences de 1 'experience que nous pouvons faire sans cesse de notre sens intime. Le moi est un, ... Il se saisit, sitot qu'il se reflechit sur lui- raeme, comme une cause absolue et durable, ... 15 En se repliant sur lui-meme, Maine de Biran decouvre dans son interieur le plein et le multiple de la vie authentique, qui lui revelent le moi. Tout le biranisme est centre sur le probleme de l'actualite du moi; ... qu'est ce que le moi? [se demande-t-il] ... Il faut se placer dans le point de vue intime de la conscience et ayant alors presente cette unite qui juge de tous les phenomenes en restant invariable, on apergoit ce moi, on ne demande plus ce qu'il est. (Journal, II, 95) Nous avons vu maintenant que le moi est 1'essence de notre personnalite car a travers lui nous reflechissons, nous agissons, et nous sentons; tous les mouvements sont 15 Andre Canivez, "Maine de Biran," Histoire de la philosophie (Paris: Gallimard, "La Pleiade," 1974), III, 79-80. Voir aussi. Cf. infra, pp. 106-07 sur Hume, qui refute toute notion de causalite pour poser celle de ne cessity psychologique. 91 possibles par notre volonte. C'est bien ici, dans 1'essence du moi, que s'effectue une separation entre Descartes et Maine de Biran. Pour Descartes, 1'activite interieure est reduite a la pensee, tandis que pour Maine de Biran celle-ci devient 1 'activite du vouloir pour laquelle le monde est une limite et une entrave.^ Pour Maine de Biran, le moi se retrouve aux differentes epoques de sa vie en meme temps qu1aux differentes etapes de sa philosophie. Dans la vie organique, la sensation exprime le moi par l'experience qu'il a avec le monde, bien qu'il reconstitue le monde exterieur par le sentiment que la sen sation laisse dans ce moi. Avec le corps qui devient pre sent a l'individu par la sensation a travers son moi, nous assistons a la naissance de la phenomenologie. En outre, ce n'est plus le contenu de la sensation qui importe mais la maniere dont elle nous affecte. Cette analyse empiriste part du sensualisme dont il se detache par 1 'observation et par le rapport interieur au moi. C'est grace a la reflexion et a travers la volonte qu'il arrache la sensation de la subjectivite pure et la relie au monde solide qui nous X6 Jacques Paliard, "Maine de Biran et Maurice Blondel," Bulletin de 1'Association Guillaume Bude, N.s., 8 (decembre 1949), 91-96. 92 entoure. Ainsi, a travers la sensation le corps lui devient sensible et, par consequent, le moi lui-meme (Paliard, p. 79) . Malebranche avait deja decouvert que la theorie de Descartes etait trop simpliste et mecanique, theorie selon laquelle ce dernier ne pouvait concevoir d'union entre l'ame et le corps. Mais si Malebranche constate qu'il y a une union entre l'ame et le corps, il fait participer Dieu a cette union. Maine de Biran parvient a 1'union de l'ame et du corps, essence du moi, a travers 1 'activite de la volonte qui s'exerce contre la passivite de 1 'affectivite a laquelle nous sommes soumis. Cette activite nous apprend a connaitre le monde et a realiser nos propres desseins. Nous trouvons ici les elements de la "phase" humaine de la philosophie biranienne. Mais dans la passivite de notre "preactivite," nous trouvons deja la presence d'une puissance qui n'est pas la notre, c'est-a-dire, nous la recevons au lieu de la pro- duire, et c'est a cette puissance que Maine de Biran se souraet a la fin de sa vie. Dans cet etat de passivite "notre moi est a la fois present et absent, spectateur d'un ordre qui se deploie en lui et dont il est 1 'instrument plus encore que 1'agent" (Paliard, p. 82). En effet, ... la nullite d'efforts ou 1 'absence de toute activite 93 emporte la nullite de conscience ou du moi, et le plus haut degre d'activite intellectuelle emporte 1 'absorp tion de la personne en Dieu ou 1'abnegation totale du moi, qui se perd de vue lui-meme. (Journal, II, 188) La dissolution du moi humain le conduit ainsi a l'etape spiritualiste de sa philosophie parce que c'est Dieu qui prend des lors la place de son moi. Le langage, symbole des idees Le probleme du langage, comme le probleme des idees, doit etre traite d'apres le sens qu'il a pour le moi qui le connait et l'apergoit, et au moment ou a lieu cette aper- ception. Maine de Biran s1occupe surtout des rapports que le langage entretient avec la structure essentielle de 1 'esprit humain. Mais ceci est une question de psychologie et non d'ontologie. L'ontologie releve de 1'essence reelle des idees ou de la maniere dont elles se trouvent dans l'ame, independemment de 1 'aperception ou avant la connaissance qu'elles acquierent dans le temps. Le probleme du langage est done a base psychologique car il consiste a determiner comment, quand ou selon quelle loi, ou sous quelle faculte, I'homme commence a rattacher les idees aux signes auditifs ou oraux. Le biranisme s'interesse plutot a la participation active du moi, dans 94 sa conscience, ce qui devient un fait psychologique; ce fait doit etre congu par le raisonnement ou 1 'induction a titre de notion ou d'hypothese (II, 190). Pour etablir une conception sur l'origine du langage, Maine de Biran part des cris d'un enfant, signes que celui- ci donne de ses affections pour susciter une communication avec le monde exterieur. Par ses signes, 1'enfant a deja une aperception ou une connaissance interne; c'est une per- sonne ou un moi constitue, mais seulement au moment ou ses signes ne sont plus involontaires et spontanes, parce que 1 'enfant doit avoir une intention au moment de les produire. Notre auteur constate alors que cette appropriation des premiers sons de la voix "est la vraie origine psychologique du langage, ... " (II, 191) et qu'il faut reconnaltre les facultes interieures qui sont exclusivement propres a I'homme, c'est-a-dire, la reflexion, la memoire, 1 'effort, etc., " ... en vertu desquelles il apprend ou congoit le sens du langage ... " (II, 191). Ces facultes ont un com mencement d'exercice a travers l'organe auditif et l'organe vocal. De plus, ces facultes sont dans 1'esprit qui entend ou congoit ce langage (Oeuvres, II, 119-25, passim). Maine de Biran s'apergoit que les mouvements involon taires qui precedent 1 'intention de motilite de la voix, se 95 trouvent tout faits et donnes par la nature ou par Dieu, car notre esprit est receptif. Cet apergu psychologique entralne, comme nous l'avons remarque, le developpement mecanique du langage qui est le resultat du rapport des signes et des objets de connaissan- ces. "L'homme forme lui-meme les noms dont il se sert pour distinguer entr'eux les divers objets de sa connaissance" (Journal, II, 249). Ce rapport est fonde sur un enchaine- ment d'elements, tels que les organes auditifs et vocaux qui reproduissent les idees suscitees par la reflexion. Nous voyons done que la reflexion s'exerce a travers la repro duction des sons, pour exprimer son contenu qui devient une des modalites du moi. La coordination de tous ces elements joints a 1'habi tude et a 1 'imitation aident l'homme a apprendre le langage dont il se sert pour s'exprimer mais e'est Dieu qui anime son esprit pour les recueillir. Cette analyse des elements qui composent le langage aboutit a un fait important: la deduction qu'il n'y a pas "d1uniformite dans le langage ou de sens precis attache aux mots comme dans d'autres sciences,” et que la "difficulte est inherente aux choses memes ou au point de vue dans le- quel il faut se placer pour les entendre" (II, 144). 96 Nous voyons ici la diversite des preoccupations de Maine de Biran pour determiner la source de nos connais- sances. En analysant les elements constitutifs du langage, il rejoint la phenomenologie par le rapport entre le moi et l'objet de connaissance qui depend du langage pour l'ex- pression du contennu. II constate ainsi que "c’est dans le verbe que reside toute la puissance du langage et le verbe n'est que l1expression d'une action dont le sentiment est inseparable de 1’existence" (I, 20). Ici, 1'originalite de Maine de Biran consiste a montrer 1*importance de 1'experience dans 1'analyse empirique. Ce n'est plus 1 1 observation exterieure qui nous renseigne sur une vraie connaissance; nous avons aussi besoin de 1 'ex perience interne pour arriver aux faits. Ainsi, la conno tation des mots comporte aussi une experience individuelle qui differe de l'emploi que chaque homme apporte a ce mot. Il faut noter ici que Maine de Biran, en analysant le lan gage, s'est inspire des idees de Bonald (I, 154-55) sur la partie physiologique du langage qu'il approfondit, et aussi des idees de Turgot et de Maupertuis, qui ont ignore la distinction entre ce qui est affectif ou concret dans "le sens" des mots (Oeuvres, X, 87-105, passim). Dans le cas de Bonald, nous trouvons une grande contradiction entre 97 celui-ci et notre auteur quant aux theories sur l'origine du langage; Bonald place cette origine en Dieu. La liberte Vers la fin de sa vie, en tant qu'il y a doute quant au resultat, Maine de Biran demande si la liberte est dans la lutte, ou dans la determination prise de resister, ou enfin dans le moment ou l'ame triomphe. ... toute notre liberte consiste a agir de maniere a mouvoir ou a diriger les instruments des sensations [nous dit-il], des idees, des modes intellectuelles etc... dont nous disposons, vers les causes exterieures a nous, capables de nous modifier ou de nous donner ces sensations et ces idees; ouvrir, fixer les yeux de 1 'esprit, les diriger du cote d'ou vient la lumiere, les tenir fixes sur l’objet, voila tout ce que nous pouvons et en quoi consiste la liberte. Les resultats de ces actes libres sont hors de notre pouvoir. (Jour nal, II, 381) Dans sa philosophie la notion de liberte est insepa rable de 1 'idee d'action, car c'est la conscience de 1 'ac tion qui determine le moi ou la personnalite humaine. ... la faculte d'agir librement [dit-il], ou de commen- cer une serie de mouvements externes ou internes, est la condition premiere et necessaire de la connaissance de soi-meme, ou du sentiment de sa propre existence, sentiment qui equivaut a 1 'existence elle-meme, dans le vrai point de vue psychologique. (Oeuvres, XIII, 8) Cette constatation se trouve a 1'interiorite biranienne, qui par son examen approfondit les rapports reciproques de l'ame 98 et du corps. Grace a la volonte, l1union de ces deux subs tances constituent la personnalite de l'homme, et lui don- nent le sentiment qu'il agit librement. En outre, par sa volonte, il a le pouvoir d'initier une action, et puisqu'il est la cause de 1'action, il est libre d'agir. D'ailleurs comme nous l'avons deja vu et comme nous le verrons par la suite, toute la philosophie de Maine de Biran est fondee sur la distinction entre l'acte de volonte, qui constitue le moi, et 1 *impression ou la sensation qui vient de l'exte- rieur et qui ne depend pas du moi. Dans l'optique biranienne, nous voyons done que l'idee de liberte est directement liee au moi qu'elle determine, comme aussi a l'idee de causalite, en ce que l'acte est la cause primordiale de l'exercice de la volonte. La notion de liberte est generalement sujette a une confusion causee par une fausse interpretation, celle de "desir", parce que souventefois, la notion de "desir" a le meme sens que vouloir. Mais si l'on considere le motif inherent au desir, on constate, avec Maine de Biran, que celui-ci "s'etend aux choses qui sont hors du moi et inde- pendantes de lui, e'est-a-dire du vouloir et de 1 'effort qui le constitue" (Oeuvres inedites, III, 480). Alors que la volonte n'implique rien d'autre que la possibility de 99 mouvoir, elle s'applique aux actions et aux mouvements que nous executons. Maine de Biran insiste surtout entre la distinction de liberte et de necessite, difference inherente a la nature des sensations, probleme a la base de 1 'expe rience biranienne. Quand il dit: "je sens que je sens," les deux termes "sens" n'impliquent pas la meme sensation. Le premier terme de cette affirmation est une sensation interne, active, initiee par la volonte et accompagnee par 1 'effort, c'est-a-dire qu'elle denote l'etre qui s'aperqoit libre et cause ou initiateur de l1action; tandis que le second terme est, en revanche, une sensation passive, con- trariee ou forcee par un autre agent que ce vouloir ou moi, et c'est cette sensation qui comporte l'idee de necessite (Oeuvres inedites, I, 283). L'interet de la liberte pour Maine de Biran L 1analyse et l'examen interieur des sensations pro- viennent de l1experience vecue. Cette recherche devient le pivot scientifique et metaphysique de la philosophie bira nienne; elle differe radicalement de l'empirisme pratique par les sensualistes, et les ideologues en ce que celui-ci est fonde sur 1'observation exterieure. Les ideologues n'ont pas reconnu 1 'empire de la sensation interne, bien 100 qu'ils se soient separes des sensualistes par leur decou- verte du mouvement. Cette demarche biranienne differe aussi du rationalisme qui s'est egare dans les hypotheses specula- tives. Aide par la methodologie des ideologues et l'interet porte aux problemes formules par les rationalistes, Maine de Biran essaya d'approfondir l'etendue et la nature de la liberte pour etablir une science de l'homme qui puisse for- muler ses rapports avec le monde exterieur d'apres ses pro- pres dispositions. L'experience lui apprend qu'il doit s'attacher a l'examen interieur de ses sensations pour distinguer entre 1 'etat de volonte libre et celui ou la volonte est empechee et contrainte (Journal, III, 42). Dans le mouvement de notre corps, nous dependons de la condition organique qui est independante de la volonte, parce que le corps n'est pas toujours dispose a se mouvoir. ... quand la digestion, les secretions, etc... sont laborieuses, quand le principe de la vie eprouve des resistances de la part de tous les organes: il est bien impossible que 1 'esprit soit libre, facile et prompt dans son action. (I, 95) Les facultes intellectuelles, sujettes aux desordres psychiques ou physiques, empechent ou contrarient notre vouloir; ainsi nous ne sommes plus libres d'agir, fait que Maine de Biran note constamment dans son Journal (Journal 101 intime, II, 130, passim). De la meme maniere, les facultes intellectuelles sont capables de faire evanouir les impressions du dehors sous la pression de 1 'habitude ou de la repetition, ou sous 1 'empire des distractions du dehors. L'homme devient done le recep tacle d'impressions, et ses actions ne sont plus libres et actives, mais passives et involontaires. La preoccupation [dit il] est 1'oppose de la liberte d1esprit. L’homme preoccupe, ou qui se preoccupe des moindres choses, n'est jamais pret a agir ... il ne dispose pas de ses idees; il est toujours domine par quelque idee ou image vague, liee a certaines affec tions ou mouvements organiques qui lui font la loi. (Journal, I, 195) Cet apergu nous revele les conditions qui empechent la volonte d'agir et qui, par consequent, contrarient notre liberte. Degres de liberte Maine de Biran veut concilier le determinisme chretien avec le stoicisme au moyen de la liberte d'action, qui doit etre favorisee par le bien "que sa raison lui montre ... " (Journal, II, 229). Il faut noter cependant que dans une grande partie de son oeuvre, comme dans son Journal, il parle plutot d'un determinisme a tendence naturaliste, puisqu'il y analyse, comme nous le verrons, les rapports 102 physiques et psychiques. Ce n'est qu'a la fin de sa vie, a partir des annees 1818, qu'un spiritualisme remplace le naturalisme pour remedier a l'angoisse de son corps. Il parvient cependant, grace a 1 'analyse interieure, a decrire les trois modes d'action de l'individu: d'abord 1 'action spontanee qui est toute a fait passive parce qu'on la sent independante de la volonte, c'est-a-dire qu'elle ne peut pas 1 'interrompre ou la changer; ainsi les affections de plaisir ou de peine ou la liberte d'action ne s'exerce pas. Puis 1 'action mi-spontanee mi-volontaire, ou la volonte exerce un certain empire sur une action souvent commencee ou continuee sans son concours mais qu'elle peut assujettir a ses lois; ainsi ... sont les images ou idees de 11 esprit qui peuvent se representer spontanement et suivre l'ordre que la volonte leur prescrit. (II, 68) et ou la liberte s'exerce jusqu'a un certain point. Enfin, il y a des actions, telles les actes intellectuels, ou aussi les mouvements du corps, qui ne peuvent etre effectues que sous l'ordre expres de la volonte. Dans celles-ci l'on eprouve un degre de liberte complete. C'est a travers sa propre experience qu'il se rend compte que l'homme est esclave de ses passions et de ses habitudes mais, en meme temps, il est l'ennemi de toute 103 contrainte. Cela s'explique par sa nature double, les deux parties n'etant pas toujours en harmonie I'une avec 1 'autre. Autrement dit, 1'union de l'ame et du corps fait defaut. L'habitude domine et continue parfois son instinct animal, ce qui obscurcit et limite sa volonte. En outre, 1'habitude rend aveugle et spontanee la determination de 1 'action volontaire, et l'homme ne devient alors qu'un automate (Oeuvres, XIV, 328). De meme, la suite des actes coordonnes et lies entre eux avec effort, finissent, a force de repe tition, par s'executer eux-memes sans 1 'effort de la vo lonte. Ce ne sont done pas seulement les dispositions organiques qui contrarient la liberte mais egalement le caractere automatique de nos actions. Ceci mene Maine de Biran a constater que ... la liberte n'est inherente reellement qu'a 1 'effort ou au vouloir de l'ame et ne se transmet au mouvement qu'au moyen de conditions organiques independantes, par leur nature, de la volonte ou du moi. (Oeuvres, XIV, 332) Le Journal temoigne des regrets de 1'auteur d'etre incapable, la plupart du temps, de surmonter son mal. A la fin de sa vie, le libre arbitre l'eleve au-dessus de la contrainte ... de resister a tous les entrainements, de s'affran- chir de toutes les miseres et de se creer un bonheur 104 independant. ... il faut qu'il sache que sa volonte, et non pas les objets etrangers, le constitue ce qu'il est: personne morale, intelligente et libre par essence. (Journal, I, 85) Contribution de Maine de Biran a la notion de liberte La division des facultes en actives et passives, selon le rapport des sensations avec l'exercice de la volonte motrice, entralna 1 'affranchissement du cartesianisme. L'individu n'est plus un simple receptacle soumis aux im pressions exterieures, mais, grace a l'exercice de sa vo lonte, il est capable de constituer son moi. Decouverte importante parce que, dans l'optique biranienne, Le sujet actif qui dispose de ces facultes ou qui les met en mouvement, ... doit etre considere comme ayant la propriete de tout ce dont il dispose, de tout de tout ce sur quoi il agit. (II, 26) L'homme est done capable de determiner ses actions et, par consequent, de creer sa personnalite, a condition que les fonctions organiques et les conditions sociales aux- quelles il est soumis lui soient favorables. De la on peut conclure, a la maniere de Sartre, que "L'existence precede 1'essence." Si l'homme est libre de determiner ses actions, il cree par elles sa personnalite; il est done responsable et etre moral. Voila le probleme que Maine de Biran essaie 105 de resoudre, au lieu de prendre le sentier "oisif" des speculations metaphysiques qui "n1offrent qu'un labyrinthe inextricable sans nous faire faire un pas de plus dans la connaissance de nous-memes" (Oeuvres, I, 143). Dans cette demarche, nous trouvons deja le germe de 1'existentialisme de Sartre: "l'homme se definit par son action." Cependant, en parcourant le Journal, on s'aperqoit des faiblesses de 1 'auteur, qui, assujetti par une organisation maladive, et entraine par la pression de son occupation, ne parvient que rarement a definir son etre "authentique", c'est-a-dire qu'a l'exemple de ses collegues il succombe aux apparences. ... il arrive (nous dit-il] que nous sommes par le fait plus souvent passifs qu'actifs, plus automates qu'etres pensants et reflechis. (Journal, II, 68) Jusqu'a l'epoque de Maine de Biran, la metaphysique avait fait abstraction de la volonte dans 1 'analyse des sentiments et des idees; elle est arrivee a considerer les idees ou perceptions comme des produits de causes exteri- eures. Par son exaraen interieur, Maine de Biran nous decrit le tableau concret de la fonction et des limites de la volonte afin de determiner notre liberte et aussi pour instiguer a l'exercice notre conscience, notre moi 106 veritable. Il distingue entre la sensation qui n'est qu'une modification du plaisir ou de la douleur, et la sensation qui est un acte de la volonte, soit le jugement? distinction importante d'ailleurs pour le developpement du moi. II nous montre les termes du rapport necessaire "pour fonder ce premier jugement simple de personnalite je suis," qui est le pivot de 1'existence (Oeuvres, II, 15). Attribuant a 1'effort voulu le fait primitif de 1'ex perience de la liberte, Maine de Biran s'affranchit egale- ment de la conception de la liberte selon Hume. Comme nous l'avons deja signale, pour Maine de Biran 1'effort voulu, le moi, est cause de toute action. Pour Hume, au contraire, toutes nos actions, nos mouvements et le monde exterieur en general restent surbordonnes a une necessite causale mani- festee par la conjunction d'objets ou de motifs qui echap- pent a notre attention. Bien que pour Hume, comme pour Maine de Biran, l'idee de necessite ait le meme sens de coercion, la difference de leur conception de liberte reside dans la "causalite." Pour Hume l'idee de liberte implique etre en dehors de la necessite ou de "l'esclavage en chai- nes", c'est-a-dire que l'homme est libre d'agir ou non, mais son activite est dependante d'une "conjunction de motifs", ou de causes necessaires venant de 1'exterieur. Done, pour 107 Hume, chaque action volontaire est motivee par quelque cir- constance externe; en outre, elle depend d'un entrelacement ou d'une serie causale. Maine de Biran, en revanche, re- connalt, comme nous l'avons vu, dans nos actions "sponta- nees" les limites de la liberte telles que Hume les avait deja vues, mais il le depasse dans 1 'analyse des actions entierement volontaires, grace a la distinction entre sensa tions actives et passives.^ L'action de la volonte separe Maine de Biran aussi de Locke. Celui-ci constate que la liberte consiste dans le pouvoir plutot que dans le volonte d'agir. L'execution de 1'action n'est pas, selon Locke, dans la capacite de 11in- dividu. "La liberte est ici consideree dans un point de vue tout exterieur et etranger au sentiment, a la pensee et a l'action” (Journal, III, 42). C'est cette "experience in- terieure" qui marque la separation entre les empiristes et Maine de Biran (Hallie, pp. 125-28, passim). 17 Philip P. Hallie, Maine de Biran; Reformer of Em piricism (Cambridge, Mass.: Harvard Univ. Press, 1959), pp. 107-13, passim. 108 Contradiction entre ses theories exprimees dans ses oeuvres phi- losophiques et scientifigues et la pratique decouverte dans son Journal La recherche scientifique de la decomposition des facultes de penser et les theories philosophiques de Maine de Biran auxquelles il a medite pour fonder une nouvelle science de l'homme, nous ont donne, comme nous avons pu le voir, un tableau concret et realiste de la connaissance de nos sensations et de la fonction de la volonte pour deter miner nos actions. Par sa methodologie il est arrive a envisager une nouvelle direction de la connaissance philo- sophique du monde. Mais 1'experience quotidienne lui ap- prend que tout est relatif a la constitution individuelle de l'homme, comme le temoigne son Journal. Sa constitution physique est frele et il ne peut pas en faire abstraction. De plus, il a besoin d'excitants exterieurs pour se ranimer, ces excitants, il les trouve ou dans la societe qui d'ail- leurs l'oppresse, ou dans les lectures et la priere aux quelles il a recours vers la fin de sa vie. II se rend compte que la libre activite ne suffit pas pour "resister aux inclinations et aux passions" (Journal, II, 89) aux quelles il est soumis. II doit done aneantir son moi pour se livrer a Dieu et conquerir la paix. Le Journal est le 109 grand temoignage des vicissitudes politiques et sociales qui contrairient toute liberte d’action. ... quand on ne veut que s'amuser et passer le temps dans un cercle [y lisons-nous], on n'a que faire des qualites estimables d'un honutie, et celui qui porte la gaiete, le brillant et quelques fois la malignite des propos sera le mieux venu... (Journal, II, 131) II propose done de porter un masque, parce que le monde ne reflete que l'apparence et non pas l'etre reel. La morale La decouverte du sens intime pousse Maine de Biran a concevoir un principe de morale pouvant conduire au bonheur. Comme Pascal, il souscrit a la notion que le systeme parti- culier des sentiments et des idees se distingue autant du resultat des fonctions organiques que des notions purement intellectuelles. Les sentiments et les idees ne derivent pas des sens, bien qu'ils soient le moyen pour leur actua- lisation; ils luttent contre les impulsions organiques, tels les appetits; ils ne procedent point de la raison, bien que celle-ci, bien dirigee, puisse les embrasser et les ratta- cher a leur veritable source. Parmi ces idees et senti ments, nous trouvons les verites morales. En les analysant, Maine de Biran note qu'elles n1empruntent jamais leur evi dence que d 1elles-memes, et le raisonnement le plus subtil 110 18 ne peut rien ajouter a leur certitude. C'est le sens intime qui lui revele cette loi. Pour Maine de Biran, l'empirisme et le rationalisme se sont egares en essayant de reduire la nature humaine a 1'unite logique de la sensation, alors que les platoniciens, eux, ont confondu la vertu et la science. II ne croit pas qu'on puisse ramener a une unite, soit intellectuelle, soit organique, les fondements de l'ordre moral. Kant trouva deja une base fixe pour l'ordre moral dans la raison pra tique, fondement sur et solide a titre de loi et d'obliga tion qui differe de la connaissance. Maine de Biran, comme nous l'avons deja remarque, affronte le probleme moral pour etablir une base a notre bonheur. Des le premier Journal, on constate son souci d'ordre moral qui se developpe a mesure que sa philosophie revet son caractere definitif. La quete d'un principe moral a base de la nature humaine suit les memes etapes que son etude de psychologie. II part des faits donnes de la phi losophie sensualiste, qui correspondent a la morale de l'interet en ce que celle-ci repose toute entiere sur le 18 - Blaise Pascal, "Le Noeud,” Oeuvres completes (Paris: Gallimard, "La Pleiade," 1969), p. 1221. "Le coeur a ses raisons que la raison ne connalt point." I l l bien-etre physique dont elle fait a la fois son moyen et son but; il constate ainsi que ... l'etre moral ... suivrait aussi avec attention les changements physiques qu'il eprouverait; ne pouvant y remedier absolument, il chercherait au moins a les pre- venir et a se maintenir dans un etat ou il n'eut point a rougir de lui; ... (Journal, III, 22) L'insuffisance de cette doctrine reside dans le fait que l'homme est passif et victime ou esclave des sensations du dehors. II les ecarte a mesure qu'il decouvre la volonte et la liberte. II suit le principe de la morale stoicienne fondee sur l'exercice de la volonte, base de l'ordre in- tellectuel. ... ce n'est que dans la vie interieure et dans l'exer cice des facultes actives, dans les profondeurs de l'ame, qu'on retrouve son etre moral, ... (I, 36) La psychologie et la morale se reunissent ainsi dans leur source commune, la volonte. Il essaie de vivre selon les principes de cette theorie; nous le constatons partout dans son Journal. C'est un combat penible que le lecteur partage avec lui. Mais helasl sa constitution organique lui enleve toute maitrise de soi. Notre auteur s'apergoit des lors que cette doctrine s'accorde mal avec la nature humaine et sur- tout qu'elle mene a l'egoisme. Sa maturite et sa vieillesse I'entrainent vers le spiritualisme au moyen de la religion. 112 Cette philosophie ne considere plus l’homme comme en etre isole, mais comme un membre de la societe dont Dieu est l'appui et la seule verite; elle repond a la morale dont le principe est 1'amour et la sympathie. "L'amour est la ten dance d ’une nature animee vers une autre nature analogue; ... " (Journal, III, 209). On trouve le developpement de ses doctrines dans Les Fragments relatifs aux fondements de la morale et de la religion, ecrit en 1818 (Oeuvres inedites, III, 18), et on les suit dans leur penible elaboration a travers les vicis situdes de 1'experience analysee dans le Journal. Le lec- teur participe a l1experience vecue de 1'auteur; il sent lui-meme, par exemple, 1'influence reciproque du principe sensitif et de 1'element spirituel; il s’apergoit surtout de la difference assentielle qui separe le bien-etre sensuel du contenement interieur de la conscience. Le probleme moral absorbe de plus en plus sa reflexion, comme en temoigne son Journal des 1817. En accord avec sa methode analytique, il applique a la conscience morale les memes procedes d’examen qui lui ont servi pour I1analyse psychologique de la conscience. Son analyse a l1interieur de sa conscience lui apprend que la morale depend, dans une certaine mesure, de l’equilibre 113 entre nos facultes intellectuelles et notre constitution organique. Mais elle depend egalement de la volonte qui doit etre dirigee par les sentiments et les idees. En effet, il nous dit que ... la vraie moralite consiste toujours a regler par des actes qui dependent de nous des sentiments ou des affections qui n'en dependent pas, ou qui n'en depen dent que d'une maniere indirecte etc... (Journal, II, 144) Nous examinerons cette constatation plus loin. Essayons ici d'etablir les elements de sa morale. Nous avons vu 11 importance de la constitution organique et le role de la volonte qui dirige nos actions. Maine de Biran, a son insu, nous renseigne sur 1'importance de la connaissance des fonctions de chaque faculte, pour deter miner jusqu'a quel point on dispose ou non de son action. II insiste sur le role dominant de la reflexion qui, a son tour, doit susciter les bons sentiments et les bonnes idees en s'inspirant des lectures. En outre, les sentiments ne sont pas dans l'ame, mais on peut se les approprier. La moralite se manifeste alors dans la conscience, parce que " ... l'etre moral est congu ou produit aussitot qu'il y a une pensee interieure ... " (Journal, I, 153). C'est la que se trouve le siege des connaissances et des rapports du moi soit avec lui-meme ou avec le monde. L'etude de la morale 114 entraine necessairement des decouvertes psychologiques, en ce que celles-ci lui apportent la connaissance du comporte- ment humain pour etablir et reconnaitre les etats de trouble et d'anxiete produits par le mal physique. Maine de Biran, en s'etudiant et en analysant 1'expe rience interieure de son moi, a etabli la relation entre la philosophie et la psychologie pour arriver a la vraie sci ence de l'homme. Il penetre des spheres de l'etre sensible jusqu'alors inconnues. II pousse 1'investigation philo- sophique, a la fois devoilante et explicatrice, jusqu'aux repaires de son individuality spirituelle et physique, preuve de 1'originalite de sa pensee. L'analyse de la conscience lui apprend que les sensations et les passions entravent notre liberte et offusquent la pensee; qu'elles entralnent l'individu a s'eloigner de sa nature vraiment superieure. Il faut done ecarter ou affaiblir toute puis sance qui puisse ecraser ou egarer le jugement. Celui-ci doit conduire au devoir et a la responsabilite de l'individu envers soi-meme et envers ses semblables. C'est au senti ment de la verite et de l'ordre que l'ame doit aspirer. Le sentiment de responsabilite implique la sympathie qui fait que le moi se reflechit sur un autre moi comme dans un miroir. Ainsi l'individu apporte a ses semblables 115 l'activite des impressions qu'il trouve en lui (Oeuvres inedites, III, 20-24, passim). On peut deja discerner ici le germe de la philosophie de Sartre illustree dans Huit Clos, bien que dans le monde sartrien nous trouvions une perspective negative dans l'analogie de la phrase "l'enfer, c'est les autres." La sympathie personnelle devient la source et le fondement de la loi morale et 1'apanage exclu- sif de l'humanite. A son insu, Maine de Biran a confondu l'absolu et le relatif, considerant le devoir comme un pro- duit de la societe. Ceci s'explique par son besoin d'affec tion et de bienveillance et par sa condition physique sou- mise aux variations organiques; comme nous le revele son Journal, il ne peut dominer ses impressions. L1education Tout ce que notre auteur reclame de la morale incombe a l'exercice de nos facultes, surtout quand celles-ci deri- vent d'une reflexion premeditee. Bien qu'il se soit acharne a cet effort, le Journal transperse les obstacles physiques et psychiques qui l'ont eloigne de son projet. Les soucis de sa fonction, dont il s'est scrupuleusement acquitte, ont empeche son esprit d'accomplir les meditations serieuses auxquelles il se croyait dispose. L'accablement de sa cons titution organique ont offusque ses idees de maniere a 116 l'humilier devant le monde et lui causer de l'angoisse. Dans ses oeuvres psychologiques, son attention porte sur 1'examen des facultes afin de les perfectionner et de les developper. Revenant a 1'oracle de la sagesse nosce te ipsum, il reconnait qu'il ouvre "un vaste champ d'exercice a nos facultes meditatives et actives" (Oeuvres inedites, I, 108). La difficulte de penetrer le sens profond de ce grand precepte reside dans la pratique. Notre disposition nous attire toujours vers le dehors, nous incite a agir avant de reflechir, et nous cache a nous-memes. Cependant, assure-t- il, Tout la morale de l'homme est dans la faculte qu'il a de predeterminer des actes qu’il accomplit ensuite mal- gre toutes les causes perturbatrices ou les impulsions du dehors. (Journal, II, 88) II remonte a la notion du moi qui, par la conscience de la libre activite, constitue la personnalite. Bien qu'il soit limite par les conditions que nous avons etablies aupara- vant, il doit exercer son moi en vue des rapports qu'il a avec le monde. C'est pourquoi "il faut de 1'imagination, c'est-a-dire un certain degre d'activite et de vivacite dans les idees ... " (II, 109). Maine de Biran approfondit ses conceptions a cet egard. Il distingue les facultes morales, qui dependent du sentiment de l'ame, des facultes 117 intellectuelles qui, dans une certaine mesure, dependent de la raison, de 1'imagination, mais qui sont d'un autre ordre (II, 143). Ainsi, la nature intellectuelle a besoin de I1experience et des sensations pour se developper, preuve que la faculte intellectuelle depend plus ou moins du corps ou de la partie inferieure de notre etre, alors que les facultes morales dependent de la reflexion et de I1atten tion, c'est-a-dire de notre partie superieure (II, 14 3; voir note 3). Cette separation lui•permet d'analyser leurs fonctions et leurs rapports pour ameliorer l'homme, le ren- dre plus moral. A partir de la, il fait un rapprochement avec le gouvernement, et demontre que ... le seul bon gouvernement est celui sous lequel l'homme trouve le plus de moyens de perfectionner sa nature intellectuelle et morale et de remplir le mieux sa destination sur la terre. (II, 132-33) L'apport de Maine de Biran, soucieux de perfectionner l'individu, devient de plus en plus evident. Les Archives de Bergerac revelent que pendant son administration il crea la Societe medicale de Bergerac qu'il presida lui-meme, pour susciter et diffuser l'interet des sciences humaines (Lemay, pp. 1-6). D'autre part, il fonde un college a Bergerac sous la direction personnelle de Pestalozzi qui lui envoie un de 118 ses meilleurs disciples; il y surveille personnellement 1*administration, ainsi que 1*execution du programe. II inaugure une reforme dans la methode de 1'instruction en remplagant le systeme pedagogique de Condillac par celui plus recent de Rousseau. II reproche a Condillac d'avoir etouffe l'activite de l1esprit sous la passivite des sensa tions et des signes conventionnels du langage et aussi de faire de l'homme un etre purement sensible, incapable de juger ses sensations, done de ne pouvoir leur resister. Si Rousseau a montre par sa psychologie pratique l'ordre suc- cessif du developpement des facultes intellectuelles et morales, Maine de Biran a soigneusement muri les facultes du jugement et de 1'attention. Suivant les preceptes de Rous seau, il suggere que la volonte resiste a la sensation, s'affirme elle-meme et etend son empire sur les facultes 19 intellectuelles. Dans le domaine de la politique, pendant son adminis tration de la Dordogne, il institua egalement de nouvelles ordonnances en matiere de sante (Gouhier, Oeuvres choisies, p. 9), et introduisit de nouveaux reglements dans la Chambre 19 Alexis Bertrand, La Psychologie de l1effort (Paris: Alcan, 1889), pp. 127-55, passim. 119 20 des Deputes pendant son office de Depute de l'Assemblee. Nous voyons que notre auteur a laisse un temoignage actif et vivant de ses theories, selon lesquelles l'exercice des facultes actives est le plus sur et meme 1'unique moyen de perfectionnement accorde a la nature humaine. Aussi a-t-il pratique ce qu'il recommandait lui-meme. L'education et le role de 1'intellect occupent une place importante dans la psychologie et la philosophie bira- nienne. Cette pedagogie, notamment 1'heritage de Rousseau, est an meme temps une morale, parce que dans le developpe ment du jugement se trouve l'oeuvre de la liberte sans la- quelle l'homme est incapable de science et de vertu (Ber trand, p. 154). Ainsi la faculte morale, selon la maniere biranienne, commence par I1attention et se forme par le jugement; elle derive ses bases de la memoire intellectuelle qui "n'est que le souvenir de nous-memes et le perfectionne- ment acquis" (p. 155). La morale s'acheve par la reflexion qui est le dernier terme de 1'education et le but le plus eleve de la vie humaine. La mission de la pedagogie entraine la reconcilia tion de la science et de la conscience dans la reflexion personnelle, qui en meme temps devient le tronc et la racine d’ou elles surgissent. 120 Le devoir Dans la recherche du bonheur, Maine de Biran se rendit compte que 11assujetissement des passions et la resignation a l'activite tumultueuse, bien qu'elles apportent le calme a l'ame, ne peuvent pas rendre l'etre moral. Puisque l'homme vit en societe, il a une obligation envers ses semblables. Le bonheur est souvent la suite et la recompense des actions determinees par le devoir (Oeuvres inedites, pp. 154-55). Sa position politique le pousse vers le monde; bien qu'il dedaigne cette occupation qui contrarie sa nature, il la remplit avec empressement: ... mon ouvrage n'est pas un ami [nous dit-il], il m'inspire plutot de 1'eloignement et un degout habi- tuel, et pourtant je ne puis le quitter ni faire autre chose dans le cabinet. (Journal, II, 113) Il manifeste son sentiment de devoir envers la France au moment de sa confrontation avec Napoleon ou il fait preuve d'honneur et du plus grande courage, meritant une place exceptionnelle dans la conscience nationale par la portee de son sacrifice. Fonctionnaire loyal du gouvernement imperial qu'il represente a Bergerac [nous dit Gouhier], il sera l’interprete loyal des interets nationaux qu'il re presente au Corps legislatif: il appartient a cette "commission des cinq" qui, a la fin de decembre 1813, ose adresser des remontrances a l'Empereur; ... (Gouhier, Oeuvres choisies, pp. 10-11) 121 C'est aussi l'epoque ou il subit 1'influence de Bonald, Maistre et Lamennais. Ses soucis portent plus sur les pre occupations sociales et religieuses que sur les recherches scientifiques ou philosophiques. Il comprit done qu'il avait trop isole l'individu dans ses rapports avec la soci ete (Journal, I, 86). Il congoit que le moi se reflechit sur un autre moi comme dans un miroir, e'est-a-dire qu'il ne peut voir un honune sans le voir pareil a lui. II en derive un consensus sympathique qui constitue la conscience morale. Le sentiment de la conscience personnelle le renseigne sur sa propre activite, grace a laquelle il peut determiner l'exercice de sa liberte. Selon Maine de Biran, le droit personnel y prend ses racines. Cependant, par sa conception de la sympathie, il reconnaxt les limites de sa volonte en attribuant les memes droits personnels a ses semblables, d'ou l'origine propre de la notion de devoir (Oeuvres inedites, III, 20, 21). A ce propos, Maine de Biran s'exprime ainsi: Chaque individu agit sur la societe de ses semblables qui reagit tout entiere sur lui. Du sentiment de 1'action libre et spontanee qui, par elle-meme, ne connai.trait pas de limites, derivent ce que nous appe- lons droits. De la reaction sociale necessaire, qui suit 1'action individuelle et qui ne s'y conforme pas exactement ... naissent les devoirs. (Journal, I, 87) Ce qui interesse surtout notre auteur c'est le rapport des 122 droits personnels a la formation d'un gouvernement juste (II/ 216, 218, 220, passim), parce que le respect des droits individuels conduit l'individu au devoir envers ses sem blables . Tel est le premier fondement des idees correlatives de droit et d’obligation (constate Maine de Biran]. Tel est aussi le fondement de la justice et de la sympathie naturelle qui constituent l'homme bon tant qu'il reste dans l'ordre ou qu'il ne contrarie pas les lois de la nature. (II, 26-27) La plainte qu'il exprime constamment a la suite de 1'accablement qu'il eprouve a remplir ses devoirs ne le detourne pas pour autant de ceux-ci (II, 93). Parfois le degout de sa fonction ou de son occupation ne derive pas seulement de 1'affaiblissement de ses facultes, mais aussi du vain effort qu'il exerce pour lutter pour la justice nationale, notamment pour retablir le gouvernement monar- chique (II, 53, 108). Les dispositions de l'homme vis-a-vis de la morale La lecture du Journal explique la lacune qui existe dans sa theorie morale selon laquelle il attribue a la sym pathie personnelle le principe de sa morale. Etant donne sa propre faiblesse organique qui en fait le fondement, il a confondu le relatif avec 1'absolu.de la loi morale. Les 123 ames fortes qui ne sont pas soumises aux variations orga- niques se trouvent mieux placees pour dominer leurs dispo sitions et se determiner par leur raison. Notre auteur n'est pas capable de cette domination et il se laisse para lyser par son instinct, comme on le voit en parcourant le Journal (I, 217-18). S'il reconnait le principe qui mene au perfectionnement de l'homme, et suggere la soumission a la raison pour conduire celui-ci a sa vraie dignite, il n'y arrive que rarement. Il attribue done son desordre mental a sa condition physique sur laquelle il n'a pas de pouvoir. Tel qu'il se voit lui-meme, il voit de meme l'homme en general. II reconnait qu'il y a une disposition particuliere pour 1'organisation de l'etre sur laquelle la volonte n'a aucun empire puisque celle-ci survient et disparait sans raison. Aussi declare-t-il que "Notre bonheur ou notre perfection morale tiendrait a decouvrir ces causes etc... " (II, 167) . En "homme ondoyant et divers," chez qui le desequilibre de la pensee suit celui de l'organisme, il trouve que l'homme est contrarie par le raonde exterieur aussi bien que par son propre interieur, e'est-a-dire que le corps et l'ame ne peuvent pas atteindre l'equilibre necessaire. Inspire 124 par Limitation de Jesus-Christ, il constate que "C'est une vraie misere de vivre sur la terre. 'Plus l'homme veut vivre selon 1'esprit, plus il est frappe des contradictions de sa nature ... (II, 168). A mesure que ses forces physiques 1'abandonnent, il s'eloigne du monde importun (II, 89-90). Le manque d'auto- rite dans le gouvernement devient a ses yeux une menace pour la societe (II, 66). Il remarque avec amertume que les bonnes intentions s'evanouissent devant le charlatanisme des grands (II, 189). On suit de pres sa demarche vers l'isolement dans le- quel il essaie de regler sa vie, en accord avec sa constitu tion (II, 144, 212). Il s'inspire de plus en plus des lec tures de Fenelon et de l'Ecriture Sainte, comme de la priere, ce qui le conduit finalement a reconnaltre une troisieme Vie, ou l'ame humaine s'unit a Dieu par 1'amour. A cette hauteur, 1'esprit se detache de la relativite de la matiere pour contempler l'absolu. Dans 1'amour de Dieu il trouve toute la felicite et la paix. II rejoint saint Augustin et par la meditation il retrouve Dieu au fond de son ame. Comme nous le voyons, Maine de Biran constate les faits de son experience telles qu'il les aperijoit sans les justi- 125 fier. II decompose ainsi les facultes de nos perceptions pour determiner les rapports qui existent entre la psycho logie et la physiologie, et ceci toujours en fonction du perfectionnement de l'homme. D'accord avec sa psychologie/ c'est par la reflexion et la faculte intellectuelle que l'homme se depasse et atteint sa vraie dignite. Dans le cas de la morale, la lucidite de Maine de Biran l'entraxne vers la vie spiritu- elle, mais seulement apres avoir constate que la "morale philosophique est inferieure a la morale religieuse" (II, 168-69). Il arrive a se detacher completement de 1'empire des sensations en leur imposant le silence. N'etant plus distraite par les sensations du dehors et grace a 1'expe rience interieure, l'ame peut developper les idees de Dieu, de 1'infini, de l'absolu. Conclusion En examinant les themes du Journal, on constate la nouveaute dans la decouverte du moi et de la volonte; ceci nous mene vers une nouvelle philosophie, et aux themes essentiels du romantisme, comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Cette aperception du monde exterieur sera le germe de la phenomenologie, direction sans precedent pour la pensee philosophique. Dans le domaine de la morale, il 126 elabore une methode originelle de pedagogie qui comporte des obligations envers la societe. Maine de Biran est, a tous les egards, l'homme d'action et de pensee qui agit avec courage et conscience. Le Journal dissipe l'obscurite que laissent surtout ses oeuvres morales dans leurs lacunes quant aux principes. Il nous renseigne sur 1'influence exercee par les lectures de Marc-Aurele, chez qui le stoi- cisme vient delivrer 11asservissement de 1"esprit par la matiere par 1'abaissement des conditions organiques de l'etre au profit des facultes intellectuelles. Enfin, le stoicisme la "philosophie du portique" l'entraine au spiri- tualisme auquel il parvient par 1'influence des lectures de Fenelon et de l'Ecriture Sainte. Cette derniere etape lui confere la sagesse. Peut-etre pour demontrer la demarche de sa pensee a travers les vicissitudes de sa vie, avons-nous trop souligne 1'importance des dispositions organiques, mais c'est a cause de sa constitution maladive que Maine de Biran, dans son interieur cherchait les facteurs qui pouvaient 1'aider a surmonter son mal. Cet examen l'entraine a developper ses facultes intellectuelles et a arriver a la constitution de ses theories philosophiques et psychologiques. En meme temps, celles-ci l'aident dans la formation de son propre moi et dans la prise de conscience de sa propre essence. CHAPITRE III RAPPORT ENTRE LES IDEES DE MAINE DE BIRAN EXPRIMEES DANS LE JOURNAL ET LA LITTERATURE ET LA PHILOSOPHIE FRANQAISES DU XIXe SIECLE Au deuxieme chapitre nous avons releve les themes du Journal les plus importants donnant un apergu de la pensee biranienne, themes approfondis dans les oeuvres philoso- phiques et scientifiques de I1auteur. La demarche de Maine de Biran peut se concevoir comme une etape dans 1'evolution de la pensee litteraire du XIXe siecle. Elle subit I1in fluence de Fenelon et de Rousseau en matiere de morale et celle de la methode analytique et empirique formulee par les sensualistes et les ideologues. Cette etape correspond a l1elan d'introspection psychologique caracteristique des romantiques; elle se manifeste d'ailleurs par le vague des passions et le mal du siecle. Alors que les romantiques en peignant leurs emotions creent un monde imaginaire pour soulager leur ame tourmentee, sentiment que Lamartine par 127 128 exemple exprime dans son poeme Le Lac, ou il eprouve la sympathie de la nature envers sa douleur, Maine de Biran, par sa lucidite, eprouve ces emotions dans son experience reelle et non dans un domaine imaginaire. Il les analyse pour les comprendre, nous donnant ainsi leurs causes et leurs effets. Les symbolistes plus tard, suivant son exem ple, retablirent la description de la conscience dans leur maniere d 1 interpreter le monde comme Mallarme, par example, dans son poeme L1Azur, ou il essaie de decrire son impuis- sance. Quant aux realistes, l1analyse methodique et empi- rique de l1experience est orientee chez eux vers une etude sociologique, comme chez Balzac. Enfin, les naturalistes essayent de suivre les voies de la science physique, comme l'attestent les romans de Zola. Maine de Biran, produit de la revolution, passe par les memes soucis et epreuves que ses contemporains. D'une part, 1'incertitude qui fait replier 1'individu sur lui-meme pour y chercher son moi a travers les confessions; de I1autre, l'elan vers Dieu ou 1'evasion. Ce n'est done pas par hasard que l1on y retrouve les themes chers a notre auteur, comme la solitude, le moi, le sentiment, l'absolu, qui marquent la litterature du siecle. 129 Domaine litteraire 0 — Le XIX siecle trouve dans le developpement du roman une nouvelle voie de communication pour l'individu. Ce genre dont les origines remontent a la tradition epique et romanesque du Moyen Age par le gout des aventures, traverse les siecles et petit a petit introduit des elements plus © - - personnels pour culminer au XIX siecle dans la liberation de l'art. Dans ce sens, le journal intime peut se concevoir en marge de ce developpement. Le temps de son emancipation est arrive. Le souci de confession herite des epoques anterieures, le besoin d1 introspection pour decouvrir un moi authentique, et la curiosite d'analyser les sentiments in times y convergent pour affirmer la presence de l'individu. 0 ^ ^ A partir du XIX siecle et jusqu'a nous jours, l'histoire litteraire connait de nombreux representants du genre. La lecture des journaux nous apporte une connaissance plus in time de la vie de 1'auteur, de ses sentiments, et revele egalement la genese de la creation litteraire ou scienti- fique. L'interet pour la pensee de Maine de Biran, bien que mal connue, continue jusqu'a la fin du siecle quand l'eclec- tisme et le spiritualisme de notre auteur vont de nouveau envahir la litterature. 130 Tout au long du siecle on retrouve les idees et les soucis de Maine de Biran traites selon l'optique de l'epo- que. Ainsi l'ecole realiste fait-elle 1"analyse minutieuse de la societe pour saisir le comportement de l'individu. De meme, le naturalisme, par son analyse, va prouver le role de l'heredite. Ce qui distingue les mouvements litteraires entre eux, c’est que le romantisme, plus proche de Maine de Biran, ce concentre presque uniquement sur la vie interieure de l'individu, alors que les autres ecoles s'attachent sur- tout a demontrer son rapport avec l'exterieur. A la fin du siecle on constate un renouveau de la sensibilite portant sur 1'interiorite de l'homme, par exemple chez les symbo- listes. Cette interiorite et le role de la conscience vont etre developpes par Bergson qui exercera une grande influ ence sur Proust. D1autres auteurs tels que Barres vont affirmer la predominance du moi et de la volonte. Bourget, Claude Bernard et Renan vont reintroduire le spiritualisme dans la litterature. Si notre auteur a introduit le journal dans la litte rature comme un moyen pour analyser son moi interieur, sa pensee philosophique a encourage de nouveaux courants, comme la phenomenologie et 1'existentialisme. Nous verrons dans ce chapitre comment sa pensee a suscite des decouvertes dans 131 les divers domaines des idees. Le roxnantisme L'importance du Journal de Maine de Biran pour le romantisme provient des idees profondes qu'il renferme. D'abord on reconnait l'idee centrale: le moi qui caracterise ce mouvement. On ne peut pas concevoir le romantisme sans 1'introspection propre a 1'oeuvre de tout ecrivain romantique. Le regne du moi entraine avec lui un interet preponderant pour le sentiment personnel, deja herite de Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre, et qui atteindra son apogee dans le romantisme. Cette subjectivite approfondie du Journal Maine de Biran la traite de maniere differente, et elle sera traitee de maniere differente par chaque auteur, selon son temperement. Maine de Biran appartient bien a son epoque; c'est le meditatif melancolique qui partage ses sentiments avec Obermann, Rene et meme avec Lamartine, quand il exprime si nettement le lien essentiel qui rattache 11univers a son createur. Ainsi il nous dit: C'est la un point de vue de 1'univers, diametralement oppose a celui de la poesie ordinaire, mais qui admet une sorte de poesie, la plus elevee sans doute, puis- que c'est celle qui a sa source dans le sentiment de 1'infini et qui pourrait reveiller ce sentiment et le peindre a 1'imagination, si notre langage grossier 132 fournissait des couleurs appropriees, ou si 1'infini pouvait se representer. (Journal, I, 82) Comme les romantiques, il est aussi atteint du mal du siecle et il en implore la nature et cherche un remede a ses souffranees. Mais contrairement aux romantiques, ses aspi rations religieuses relevent de la reflexion, du spiritua- lisme convaincu et non de 1'aspiration vague d'un Lamartine. Cette reflexion qui s'exerce par la volonte lui confere son originalite. La nature lui apporte, comme il nous le dit, un sentiment de bien-etre et de renouvellement physique et moral: Dans le printemps la nature tend a tout renouveler, tout revivifier, tout rajeunir; il y a une forte impul sion donnee a la vie organique, un grand effort fait pour remonter les organes au ton de la jeunesse, reme- dier a tous les desordres. (II, 49) Chez les romantiques c'est la nature qui fait la toile de fond de leur sentiment, comme on le voit chez un Chateau briand: ... les passions dans le vide d'un coeur solitaire, ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d'un desert ... ^ Maine de Biran eprouve aussi tous les sentiments des ^Chateaubriand, Atala et Rene (Paris: Garnier Freres, 1962), p. 211. 133 romantiques/ mais il les analyse afin de parvenir a les maitriser et surmonter ceux qui lui causent son mal. Ainsi/ il se plaint de la fuite du temps, sentiment commun aux romantiques: ... l'age, le temps, la mort ont tout emporte... je suis mort moi-meme a cette vie de bonheur, a tous ces sentiments tendres, expansifs qui la constituaient. (I, 133) D'autre part, nous trouvons chez lui a l'egard de la soli tude le meme elan qui anime les romantiques: ... il me faut de la solitude et du repos. Je suis ne mal a propos et dans un mauvais siecle. Je me trouve hors de mon instinct et de ma vocation naturelle. (I, 107) Nous voyons done que le Journal s1accorde avec les tendances les plus profondes de son epoque et qu'il partage la souffranee physique et affective de ses contemporains. Mais alors que ceux-ci deviennent esclaves de leur passions, comme Senancour et Benjamin Constant, Maine de Biran s'ef- force de les surmonter: Ici, il faut savoir se contenter du repos, de la vie champetre et savoir se passer de 1'eclat, du bruit, des impressions vives et de tout ce qui constitue le charme de la vie exterieure. (I, 73) Il reste fidele a la grande patronne du romantisme, Mme de Stael, qui declare que "toutes les observations et tous les 134 efforts des philosophes doivent se tourner vers ce moi, 2 centre et mobile de nos sentiments et de nos idees." A titre de recherche du moi, nous essayerons de presenter un 0 ^ apergu des "intimistes" du XIX siecle. Etienne de Senancour (1770-1846).— Contemporain de Maine de Biran, impregne des philosophes ideologues, cet ecrivain nous montre son evolution interieure a travers Oberman, publie en 1804, premier roman romantique par le besoin qu'a le heros d'etaler ses sentiments. Ecrit en forme de lettres et a la premiere personne, ce roman est a la fois une confession intime et un journal: "C'est de moi, de moi seul que j e veux m 1occuper maintenant: cherchons 3 d'abord comment je puis etre heureux." Senancour suit la voie de Maine de Biran dans la recherche de soi pour arriver a la connaissance de l'homme. Mais c'est un elan narcis- sique plutot que scientifique que l'on constate a travers ce roman. II y livre ses sentiments et s'y perd par la fai- blesse de sa volonte. Certes, on y trouve des points com- muns avec Maine de Biran; comme lui, il eprouve la meme 2 Mme de Stael, "De 1'Allemagne," Oeuvres completes, 2 vols. (Paris: Firmin, Didot, 1844), II, 169. 3 A. Mongland, "La jeunesse de Senancour," Vies pre roman tigues (Paris: Ed. Presses Frangaises, 1925), p. 155. 135 inadaptability sociale: " ... je vis qu'il n'y avait 4 d'accord ni entre moi et la societe." Mais, contrairement a notre auteur, il trouve partout le "vide" et "l'ennui", tandis que Maine de Biran essaie de les surmonter. Si Maine de Biran nous les decrit, c'est pour faire une oeuvre scien- tifique a fins therapeutiques, done il nous donne les causes et les effets des sentiments. Senancour se perd dans le reve et aspire au mysticisme, car son manque de volonte entrave son intelligence et paralyse toute action. Benjamin Constant (1767-1830).— Contemporain lui aussi 5 de Maine de Biran, et membre du groupe de Coppet, Constant, intimiste, partage avec notre auteur des occupations poli- tiques, soucis moraux et psychologiques. Adolphe, publie en 1816, nous depeint toutes les nuances de la passion amou- reuse. C'est la "decomposition des sentiments" par 1'ana lyse de tous les elements qui y entrent. A ce propos, Maine de Biran constate: " ... le roman d'Adolphe ... renferme 4 - Senancour, Oberman (Paris: Hachette, 1913), p. 24. ^Le "groupe de Coppet" est un cercle d'ecrivains autour de Mme de Stael chez qui regne la liberte de pensee. Chaque participant doit y contribuer par ses travaux, recherches, critiques, lectures et reflexions. S. Balaye, "Le Groupe de Coppet," Histoire litteraire de France (Paris: Editions Sociales, 1972), IV, 193. 136 pour ceux qui savent lire, des observations profondes autant que fines, sur le coeur humain" (Journal, I, 177). Bien qu1Adolphe soit un recit autobiographique, Constant nous depeint par son analyse toutes les etapes qui menent a 1'amour pour une femme, puis il analyse la disintegration totale de cet amour. C'est un roman d'analyse pure ou les evenements n'ont pas de place. Le souci de Constant reste dans la legon de morale qu'il donne au lecteur a travers les souffranees de 1'heroine et de la faiblesse du caractere de son amant. Adolphe nous renseigne sur le peril d'etre trop intelligent: trop de reflexion entrave 1'action; il sou- ligne egalement le malheur qui provient de l'egoisme. Adolphe illustre la methode des ideologues qui presentent les faits sans montrer les causes. C'est a travers son Journal que Constant analyse sa conscience et essaie de se rattraper, mais il n'y parvient pas. Comme Adolphe, Cons tant est faible et n'a pas la volonte d'agir contre sa passion, soit par rapport aux femmes ou au jeu. Nous sommes enfermes dans un monde banni hors de la societe: ... cette souffrance interieure ... qui denature dans notre bouche tout ce que nous essayons de dire, et ne nous permet de nous exprimer ... ® g Benjamin Constant, Adolphe (Paris: Colombiers, 1963), p. 22. 137 II nous introduit immediatement dans le conflit qui marque toute son oeuvre: " ... tout en ne m'interessant qu'a moi, je m'interessais faiblement a moi-meme" (p. 23). Constant nous ouvre son coeur, tres semblable a celui de Maine de Biran; il est aussi "distrait, inattentif, ennuye" {p. 28), mais sa maladie provient de 11 inaction et non de la fai- blesse physique qu'eprouve notre auteur. Dans Adolphe nous distinguons d'autres etats paralleles avec ceux de Maine de Biran; surtout, il veut "etre aime" (p. 29), mais pour Adolphe c'est un besoin psychologique dont la source remonte a son enfance. Pour Maine de Biran, c'est un besoin pour sentir son existence. Constant, pour etre heureux, a besoin du succes physique: "Ellenore me parut une conquete digne de moi" (p. 32), alors que Maine de Biran pour etre heureux a besoin de la reflexion. Si notre auteur, par 1'amour de Dieu, s'ecarte de l'egoisme, Constant reste perdu dans celui-ci. Pour Constant, le Journal devient le lieu pour justifier sa conduite frivole et errante; nous en avons un aperqu dans Adolphe. Pour Maine de Biran, le Journal de vient 1'exploration de son moi authentique. Constant se cherche aussi dans son Journal; il y decrit d'heure en heure l'etat de son ame et la progression de ses occupations quo- tidiennes. Comme Maine de Biran, il decouvre chez lui les 138 memes mouvements contradictoires de l'ame souvent separes et sans lien entre eux (Girard, p. 258). Frederic Amiel (1821-1881).— Quasi inconnu de son vi- vant, Amiel ne vit dans la memoire des hommes que grace a son Journal dont la publication fut entreprise des le lende- main de sa mort. Etant donne l'etendue de cette oeuvre, on n'en retrouve que des fragments. Son Journal represente un effort unique dans l'histoire de 1'introspection. Personne ne s'est regarde si scrupuleusement, ou n'a jamais pu ana lyser avec tant de sincerite ses sentiments intimes. Cette oeuvre presente done surtout un interet d'ordre psycholo- gique. Comme Maine de Biran, Amiel est victime d'une organi sation nerveuse tres sensible et pourvu d'une conscience attentive a tout ce qui se passe en elle (Girard, p. 453). Comme lui, il cherche la bienveillance d'autrui, et est aussi assoiffe d'absolu et de verite. Ce n'est done pas etonnant de voir en Amiel un melancolique et un malheureux qui reflechit sur l'echec de sa vie publique. Mais, con- trairement a Maine de Biran, Amiel souffre d'une sorte d'hypertrophie des facultes contemplatives, a tel point qu'elles I'empechent d'agir et de se determiner: 139 Paresse et contemplation! sommeil du vouloir, vacances de 1 1energie, indolence de l'etre, comme je vous con- nais! Aimer, rever, sentir, apprendre, comprendre, je puis tout, pourvu qu'on me dispense de v o u l o i r . ^ Nous voyons ici la grande plainte d'Amiel, son manque de volonte qui revient a tout instant. Son Journal, comme celui de Maine de Biran, nous renseigne sur ses observations psychologiques, sur les souvenirs de ses occupations et in cidents journaliers. Il relate aussi les impressions de ses lectures; c'est a travers celles-ci que l'on peut mesurer 1'influence du Journal de Maine de Biran dont il nous parle. 0 ^ II vivait au milieu du XIX siecle, et venait de lire la premiere edition du Journal de son precurseur. II regrette de s'y voir reflete avec tous ses defauts (Amiel, p. 123), mais il reconnait avoir aussi des aspects differents de ceux de Maine de Biran. Il se croit plus objectif, plus cons- tructif. Il ne reconnait pas la grandeur de la pensee biranienne: ... et toute sa decouverte anthropologique consiste a reprendre la theorie des trois vies (inferieure, hu maine et superieure) qui est dans Pascal at dans Aris- tote. Et voila ce qu'on appelle un philosophe en France! (p. 126) 7 - Henri Frederic Amiel, Fragments d'un journal, 2 vols. (Paris: G. Fischbacher, 1905), I, 168. 140 L'ironie et la meprise traversent son commentaire de Maine de Biran. Amiel essaie de le diminuer en montrant que lui, Amiel, avait plus de culture, de connaissances, "d'etendue et de liberte [en tout genre], malgre mes lacunes, mes li mites et mes faiblesses" (p. 124). Par son insistence sur la volonte, Maine de Biran represente une menace pour Amiel, car il n'a pas su maitriser celle-ci. Peut-etre deguise-t- il son aspiration a parvenir a 1 'immortalite quand il nous dit: "Voila done la vie d'un homme distingue, vue dans sa derniere intimite!" (p. 125). En edifiant cette seule oeuvre a laquelle il a consacre sa vie, Amiel y a mis toute sa pensee, ce qui atteste un soin extraordinaire dans 1 'ex pression de ses sentiments, qui parfois, contrairement a ceux de notre auteur, revelent une elegance, voire de la poesie pure. On y lit, par exemple: Artiste, poete ou penseur, saisis tes idees et tes sentiments a ce point precis et fugitif, pour les fixer ou les eterniser, car c'est leur point supreme. (p. 13) Nous sommes ici devant 1'extreme objectivite de sa pensee qui considere les choses en elles-memes, dans leur substance propre, et qui s'unit en lui a 1 'extreme subjectivite du sentiment individuel qu'il eprouve. L'individualite d'Amiel reste speciale, reveche, solitaire, alors que celle de Maine de Biran s'harmonise avec son milieu ambiant. 141 Ainsi, avec ces lemons de psychologie qu'il tire de Maine de Biran nous relevons dans le Journal d'Amiel les marques de son influence (Amiel, Journal intime, p. 173). Le realisme Dans le courant realiste en litterature, on trouve quelques idees deja exprimees par Maine de Biran, bien qu'elles portent sur l'exterieur de l'individu plutot que sur son interieur. Ainsi par exemple, les ecrivains de cette ecole s'attachent a peindre 1 'evolution du caractere d'un certain personnage. Encore que cette analyse releve de 1 'experience et de 1 'observation aigues de l'exterieur, comme le milieu qui determine le caractere, notamment chez Balzac, Stendhal, et Flaubert, nous pouvons tout de meme y voir un parallele avec la methode biranienne dans la dis section des elements constitutifs de la personnalite (de l'homme). Maine de Biran, nous l'avons vu, decompose 1'in terieur d'apres son propre moi, alors que les realistes decomposent l'exterieur d'apres 1 'observation objective. Le parallele consiste dans la methode analytique qui part de 1 'experience subjective, c'est-a-dire, de l'optique de 1'observateur. Ce parallelisme apparait aussi dans le fait reel, c'est-a-dire dans la realite vecue, telle qu'elle se presente, au lieu d'emprunter au cadre de 1 'imagination, 142 0 - comme l'avait fait notamment Rabelais au XVI siecle. Stendhal (1783-1842).— Contemporain lui aussi de Maine de Biran, Stendhal commence sa formation intellectuelle en 1805, au contact des ideologues. Avant cette date, dans 1 'intention d'ecrire pour le theatre, il avait etudie les moralistes pour comprendre le coeur humain. Mais c'est en 1805, comme il le note dans son Journal, qu'il decouvre dans Le Memoire sur 1'habitude de penser, de Maine de Biran, un principe dont il espere tirer un parti utile: Principe bien fecond et bien heureux pour communiquer certains caracteres. C'est ainsi, dit Biran (III), que 1 'etre habitue aux excitations factices, indifferent dans la jouissance, se sent cruellement tourmente dans la privation ... Voila comme il est utile aux poetes d'etudier 1 'ideologie.® Dans ce memoire, ou Stendhal etudie les sentiments de 1 'amour et de l'amitie pour les rendre sublimes, il cons tate: "Il me semble que je ne connais le bonheur habituel que depuis la lecture de Biran" (p. 577). D'apres son Jour nal, 11 semble avoir apergu en particulier la grande portee de la pensee biranienne qui divise nos impressions en deux categories, actives et passives. Dans sa tentative g Stendhal, Oeuvres intimes (Paris: Gallimard, "La Pleiade," 1955), p. 572. 143 d'appliquer les theories de Maine de Biran, il declare: " ... pour se rappeler les sentiments naturels7 il faut conmencer par faire la perception" (p. 643). Cette etude, il la suit de pres en analysant sa propre conduite et ses sentiments. En lisant Maine de Biran, Stendhal releve aussi quel- ques renseignements pour mieux jouir des beaux-arts: Si, coirane le dit Biran, note-t-il, l'on n'a de memoire musicale que par les sons que l'on peut reproduire, il faut apprendre a chanter pour se souvenir des beaux airs. (p. 830) Cette constatation se rattache aux observations de Maine de Biran sur le role du sentiment et du mouvement dans l'expe- 9 nence de nos sens. Ces quelques rapprochements nous renseignent sur l'empreinte que Maine de Biran a laissee sur la psychologie stendhalienne. Cette empreinte, nous la retrouvons dans ses romans quand il analyse la psychologie qui anime ses person- nages, tout en decrivant les evenements quotidiens de leur vie. Dans Le Rouge et le noir, nous suivons de pres 1'evo lution de Julien Sorel des ses debuts de paysan jusqu'a la 9 Jules C. Alciatore, "Les emprunts de Beyle a Maine de Biran," Stendhal et Maine de Biran {Geneve: Droz, 1954), pp. 1-22 et passim. 144 fin de sa carriere quand il devient "aristocrate", grace aux deux qualites cheres a Stendhal: la volonte et la lucidite, caracterisees par la reflexion. Par le monologue interieur de Julien, nous penetrons a 1'interieur de sa conscience. Julien illustre precisement la theorie de Maine de Biran en determinant ses actions par la reflexion et en se servant de sa volonte pour les accomplir. Quand Stendhal nous invite a suivre la pensee de Ju lien, il se rattache a l'ecole realiste par la peinture exacte du coeur humain. De meme, dans La Chartreuse de Parme, il nous fait un tableau des sentiments qu'eprouve notamment Fabrice del Dongo. Mais ici, Stendhal indique les rapports entre 1 'experience vecue et 1 'education, themes deja a la base des theories biraniennes, comme nous l'avons vu au deuxieme chapitre. En peintre realiste et en psycho- logue du coeur humain, il nous dit: " ... un roman est un miroir qui se promene sur une grande route."^ Comme Maine de Biran, Stendhal etait porte a 11 intro spection; il aimait a s'observer soi-meme et a tirer de ses observations une science de l'homme, qu'il demontre dans ses romans. Grace a la theorie de Maine de Biran concernant ^Stendhal, Le Rouge et le noir (Paris: Garnier Fla- marion, 1964), p. 361. 145 l'effet de 1 'habitude sur la sensation et la perception, Stendhal a mieux compris son propre comportement, ainsi que celui d'autrui. Mais si Maine de Biran tend vers le spiri- tualisme et le mysticisme, Stendhal tend plutot vers le sensualisme et 1 'epicurisme. Le symbolisme Bien des aspects principaux de la poesie symboliste sont attribues a la plongee dans la vie interieure du poete. En reaction a 1'objectivisme du Parnasse et du realisme, on revient a la subjectivite pure. La decouverte biranienne de 1 'interiorite se manifeste d'une maniere plus attenuee que chez les romantiques. C'est dans la vie intime du poete symboliste que nous trouvons dans ce courant une nouvelle revelation du moi, qui tente d1exprimer son rapport avec le monde exterieur en creant des correspondances avec celui-ci. Bien que nous relevions dans le symbolisme une optique qui suggere la vie interieure du poete au lieu de 1 'analy ser, la concentration demeure dans l'enigme que presente le moi individuel. On peut aussi constater un parallelisme avec Maine de Biran dans le refus des symbolistes a exprimer des idees abstraites lorsqu'ils decrivent leur etat d'ame. Ainsi Mallarme, pour peindre son desespoir en face de 146 l'absolu, nous donne le tableau d'un cygne dont le plumage est pris dans la glace.^ On retrouve egalement dans la poesie symboliste les themes deja elabores dans le Journal de notre philosopher la meme solitude du poete renferme sur lui-meme, sa melan- colie et son inadaptation sociale, sa soif d'absolu. Nous nous limiterons ici seulement a deux exemples qui ont eveille la conscience de l'ecole symboliste. Charles Baudelaire (1821-1867).— Atteint par une sensi- bilite extreme, pareille a celle de Maine de Biran, Baude laire voulait livrer son moi authentique. Les Fleurs du mal expriment son itineraire: c'est en quelque sorte son jour nal intime. On y trouve les memes soucis que ceux de notre auteur. Il cherche la solitude, la purete, l'absolu et il arrive au bonheur par 1 'evasion non seulement dans 1 'amour de Dieu, mais aussi par l'ivresse des sensations et par le voyage. Ainsi, dans son poeme "L'Albatros," il depeint le - - 12 depaysement du poete incompris par la societe. "Eleva- ^Stephane Mallarme, "Plusieurs sonnets," Poesies {Paris: Gallimard, 1952), p. 90. 12 Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (Paris: Gar- nier, 1961), p. 11. 147 tion" demontre que le poete peut echapper a sa condition par le reve (p. 12). Dans "11 invitation au voyage," il nous revele l'au-dela a travers les yeux de sa maitresse: La, tout n'est qu'ordre et beaute, Luxe, calme et volupte. (pp. 58-59) Stephane Mallarme (1842-1898).— A notre avis, 1'im- puissance de Mallarme ressemble a 1'impuissance sousjacente de Maine de Biran. Bien que Mallarme s'attache a suggerer plutot 1 'impuissance du poete a atteindre la perfection et 1'ideal, comme en temoigne le poeme "L'Azur" (Poesies, p. 38), on peut neanmoins concevoir une semblable impuissance chez notre philosophe quand il cherche a maitriser ses dispositions physiques. Selon nos observations, Mallarme voulait faire de la poesie une philosophie de la vie, comme Maine de Biran voulait faire de la psychologie une science de l'homme. Tous deux, conscients de la condition humaine, cherchent a 1 'interieur de leur ame les ressorts profonds pour les exprimer. J'attends, en m'abimant que mon ennui s'eleve... — Cependant l'Azur rit sur la haie et l'eveil De tant d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil. ("Renouveau," Poesies, p. 32) 148 Ecrivains de tendences diverses de la fin du XIXe siecle Deux courants d'idees traversent la fin du XIXe siecle: d'une part la reaction contre le triomphe de la science, de 1 'autre le renouveau chretien, ou, a tout le moins, spiri- tualiste; le refus du monde industriel de s'unir a la reac tion contre le positivisme. L'explication mecaniste de l'univers ne satisfait plus les savants eux-memes, et les systemes de Darwin et de Newton sont mis en question. La morale de la science est contestee. On reclame un "supple ment d'ame," un "absolu" que la religion devra fournir. Le coeur obeit a un deplacement d'accent de 1 1exteriorite vers 1 'interiorite. Ernest Renan (1823-1892).— Renan est un exemple typique d'un esprit critique qui a voulu "ouvrir la fenetre" pour laisser entrer l'air, comme dira Des Esseintes dans A Re- bours. Il represente justement 1 1itineraire qu'ont suivi la plupart de ses contemporains, celui de passer d'une phase d'abord theologique a une phase scientifique, pour attein- dre, a la fin de sa vie, a la sagesse du relatif. La foi catholique l'amene a reconnaitre le neant de la tradition: il s'en detache et s'eprend de la science par le biais de la philologie. Renan, comme Maine de Biran, meprise tout ce qui entrave 1 'esprit et l'enchaine aux 149 interets materiels. Il est en quete d'une realite positive 13 qui puisse etre le depot et l'organe de l'Esprit. En tant que philologue, Renan renonce a la foi pour chercher l'absolu dans la science. Dans L'Avenir de la science, ecrit en 1848, "il chante la revolution sous les aspects de la philologie et de l'exegese liberees du 14 dogme." Mais cette oeuvre ne parait que quarante ans plus tard, car il voit lui-meme qu'elle presente une menace a la condition humaine. Selon lui, la philologie qui traite des choses spirituelles, "fait prendre conscience" a l'humanite de son developpement. Puisque le christianisme est la reli gion spirituelle, il faut rechercher ses origines (Brehier, p. 813) . Comme Maine de Biran, Renan analyse ses sentiments. Dans la Reforme intellectuelle et morale (1871), il y re- vient a propos de 1 'importance de 1 'interiorite biranienne, en meme temps qu'il invite le lecteur a renouer avec la tradition "dont le malheur des temps enseignait qu'elles avaient ete detruites mais non remplacees" (Vier, III, 13 Emile Brehier, Histoire de la philosophie (Paris: Presses Universitaires de France, 1968), II, 812. ^Jacques Vier, "La Prose d'idees au XIXe siecle," Histoire deg litteratures (Paris: Gallimard, "La Pleiade," 1958), III, 1207. 150 1208) . Sa methode, comme celle de Maine de Biran, repose sur des bases solides et honnetes: choix, examen et critique rigoureux des textes. Il depouille le christianisme du miracle, et du mystere. A la fin de sa vie, Renan revient a la religion, humanisant le catholicisme au lieu de l'exal- ter. Au contraire de Maine de Biran, la verite absolue lui importe peu, mais il faut agir comme si l'ame et Dieu exis- taient, car la religion chretienne soustrait I'homme a la - 15 vulgarite. Nous voyons done ici en quelque sorte, un parallelisme dans 1 'evolution des conversions de l'un et de 1'autre auteur. Tous les deux ont recherche la verite, et se sont servi de la methode analytique de la science pour examiner les faits de 1'experience; Renan poursuit une en- quete religieuse, Maine de Biran, une enquete psychologique. Tous deux sont revenus a la religion, Renan en relativis- te,^^ Maine de Biran en spiritualiste. Paul Bourget (1852-1935).— Paul Bourget s'engage lui ■^Rene Dumesnil, Realisme et naturalisme (Paris: del Duca, 1965), pp. 179-91 et passim. 16 Il faut lire la Priere sur l'Acropole (Paris: Fer- roud, 1920), ou Renan anonce une "Panbeotie," ce qui montre son scepticisme envers la betise humaine. 151 aussi dans les problemes moraux, sociaux, politiques et religieux de son epoque. Comme Renan, il est decourage par la science et se revolte contre le determinisme de Taine. Le Disciple (1889) decrit le crime commis par Robert Gres- lou, l'eleve du philosophe Adrien Sixte. Celui-ci en est trouble et met en doute son systeme. Bourget pose le pro- bleme moral que la science avait ignore. C'est un exemple des plus frappants de l'attaque contre la science. Ce roman nous replonge a 1 'interieur de la conscience, ou nous etions deja avec le biranisme. En effet, le probleme moral se pose a 1 'interieur de l'individu qui fait preuve d'un raisonne- ment trop rigide et n'agit pas selon les theories de Robert Greslou. Bourget reclame la responsabilite de l'individu envers son semblable. Dans cette analyse d'un etat d'ame, nous retrouvons tous les elements de la psychologie bira- nienne: la crise interieure et la deliberation de cons cience qui poussent Adrien Sixte a revenir a la foi. Avec Le Disciple nous retournons a 1'etude des particularites de l'ame. Bourget y montre le cheminement de 1'esprit positi- viste vers 1 'inquietude mystique de 1 'inconnaissable. Maurice Barres (1862-1923).— Le Culte du moi (1891) de Barres constitue un itineraire de la sensibilite et de 1'intelligence, ainsi qu'une recherche de soi. Comme Maine 152 de Biran, il se regarde pour cultiver son moi authentique. Comme son precurseur, il insists egalement que le premier devoir de l'homme est celui de se connaitre pour se defen- dre contre tout ce qui peut le contrarier ou l'affaiblir. Ce sentiment de nos forces emoussees [nous dit-t-il], nous engage vivement a ne negliger aucune de celles qui nous restent, a en augmenter I'effet par un meil- leur usage, a les fortifier de toutes les ressources de 1 1 experience.^ A travers son roman, en effet, nous retrouvons les plaintes de notre auteur. Barres est aussi "l'etre ondoyant et divers" qui veut se saisir pour mieux jouir de ses sen sations. (Ceci annonce deja Andre Gide.) Nous sommes a l1interieur de sa conscience qui fait un dialogue avec elle- meme, en supposant comme interlocuteur un ami, Simon, auquel il ouvre son coeur. Barres reclame beaucoup d'excitation, et une multitude de sensations: "La multiplicity et la promptitude de mes idees sont incomparables: elles m'en- chantent et me tourmentent" (p. 178). Maine de Biran, au contraire, recherche le calme et la paix pour se rassurer. Barres, comme Maine de Biran, invoque la volonte, ce "senti ment de la force, cette energie vitale qui pousse le jeune 17 Maurice Barres, Le Culte du moi (Paris: Plon, 1922) , p. 180. 153 homme hors de lui-meme" (p. 179). Barres constate aussi que la solitude est necessaire pour elever et approfondir la pensee. Cette constatation, on la trouve idealisee dans le Jardin de Berenice (p. 369) par le symbole de la tour de Constante.- Barres fournit l'exemple de cette nouvelle ten dance du roman a la fin du siecle qui detache celui-ci de 1 'exteriorite et de la partialite realiste et en fait la mesure consciente et entiere de l1experience humaine. Nous voyons done qu'avec Barres on remonte a la tradition bira- nienne qui met 1 'accent sur 1 *experience vecue au lieu de parsemer le roman de faits hypothetiques, comme procedaient les naturalistes. Domaine philosophique La philosophie de Maine de Biran presente deux carac- teres essentiels qui la distinguent de la philosophie tra- ditionnelle et qui apportent une nouvelle dimension a 11 existence. D'abord elle temoigne d'une experience vecue qui con duit a la psychologie et au spiritualisme; elle se manifeste aussi par son caractere descriptif qui conduit a la pheno- menologie. Grace a l'excellente edition du Journal, donnee par les soins de Henri Gouhier, on peut mieux saisir toute la portee 154 de la pensee biranienne sous tous ses aspects. Grace a la volonte, la grande decouverte de la distinc tion entre la sensation et la perception a donne naissance a de nouvelles doctrines philosophiques plus adaptees aux exigences scientifiques et esthetiques de notre epoque. Gabriel Maidinier nous dit: "le biranisme [est] ... une philosophie de 1'existence" (p. 177) . Certes, mais cette existence reste dans le concret et ne peut venir de 1'abstraction. Notre auteur s'est done dispose a determiner les conditions de la vie individuelle et a tracer une voie pour decouvrir l'etre authentique, provoquant ainsi la necessite de la psychologie. L'etude de 1'analyse interieure qu'il considere tantot du point de vue psychologique, tantot metaphysique, comporte trois parties correspondant aux taches qui incombent a 1'analyse. La premiere remonte par la reflexion au fait primitif, le moi. La seconde, par la reflexion du moi, derive de la deduction pour determiner les principes regu- lateurs de 1'entendement. La troisieme, s’appuyant sur les resultats des deux premieres et rejoignant ceux de I1analyse ideologique, apporte des soulagements de la part des 155 facultes de l'ame. Les contemporains de Maine de Biran Le Journal nous renseigne sur le role de la societe philosophique qui se reunissait regulierement chez Maine de Biran pour examiner les problemes philosophiques de 1'epo que. Dans le travail de ces philosophes on constate une collaboration dont les theories de notre auteur portent la trace. Inversement, son influence s'est excercee sur eux. Nous nous bornerons a n'en mentioner que deux qui dissemi- nerent et developperent sa pensee apres sa mort prematuree. Andre-Marie Ampere (1775-1836).— Dans son Journal, Maine de Biran consacra de nombreuses pages aux discussions serieuses menees avec ce philosophe et medecin. Dans une longue correspondance echangee entre ses deux amis, nous retrouvons la suite de ces discussions, qui portent un caractere de dissertation, sur la classification des pheno- menes psychologiques. Ces debats tournent autour des con cepts pour eclaircir ou approfondir leur pensee. Ainsi, par exemple, Maine de Biran nous confie: 18 Rene Lacroze, Maine de Biran (Paris: Presses Uni- versitaires de France, 1970), p. 212. 156 Je suls arrete par une difficulte qui s'est elevee entre M. Ampere et moi, au sujet de ce qui est ou n'est pas modification de l'ame pensante. (Journal, II, 28) Le Journal nous renseigne comment cette difficulte est pour- suivie par un lent cheminement pour aboutir a une idee claire et concise. Ampere represente une des voies par laquelle la pensee biranienne a pu se developper. C'est lui qui a rattache 1 'analyse de 1 'esprit a celui des demarches de la science positive (Brehier, II, 561). Comme notre auteur, il a connu une crise sentimentale qui le ramena a la religion. Dans le champ de la philosophie, il est connu par la classification des phenomenes psychologiques qu'il avait elaboree en la remaniant constamment dans sa correspondance avec Maine de Biran. Dans une de ses lettres il nous renseigne a ce sujet: ... une bonne classification de ces phenomenes est le seul moyen d'elever la psychologie au niveau des autres sciences, et de reunir les opinions divergentes, faute de s'entendre, de ceux qui s'occupent de cette science, en leur offrant a la fois et le moyen de preciser leurs idees et celui d'arriver a parler un jour la meme langue. (Lettre du 27 septembre 1807, Oeuvres, VII, 406) Pourtant, il y a des opposition fondamentales entre les conceptions de Maine de Biran et celles d'Ampere. Celui-ci avait reproche au premier de confondre 1 'effort et la 157 sensation musculaire. Selon Ampere 1'effort c'est cette impression tout interieure et purement cerebrale, ou, si vous voulez, reflechie, produite par le mouve- ment excite dans le fluide nerveux par la force hyper- organique et non par le nerf branchial qui constitue le Moi. (Oeuvres, VII, 377) Mais a part cette opposition, Ampere etant un objectiviste ces disputes ont favorise leur reflexion philosophique et leur prise de position respectives. Victor Cousin (1792-1867).— Cousin, le premier a pu- blier 1'oeuvre de Maine de Biran, bien que de fa^on incom plete, avait le mieux compris le merite de son collegue quand il disait: Maine de Biran, le plus grand metaphysicien qui ait honore la France depuis Malebranche, est assurement le plus original de nos maitres, s'il n'est pas le plus grand peut-etre.^ Ce jeune professeur de philosophie assistait aux re unions philosophiques dirigees par Maine de Biran. Celui-ci note sa vivacite intellectuelle: ... j'ai eu une bonne conversation avec le jeune pro fesseur Cousin qui, avec une tete trop ardente, n'en est pas moins l'espoir de la vraie philosophie parmi nous; il entre avec beaucoup de sagacite dans les divers 19 Auguste Nicolas, Etude sur Maine de Biran (Paris: Vaton, 1858), p. 5. 158 points de vue de la psychologie et de la haute meta- physique; ... (Journal, II, 303) Cousin subit 1'influence de Maine de Biran mais, selon lui, il "meconnut les faits rationnels, tout le domaine du connaitre qui est un troisieme element de notre vie psycho- i . „20 logique. * A 1'instar de Maine de Biran, Cousin plaqa le moi et la personnalite dans la seule activite volontaire, mais pour ce dernier le rapport entre le moi et la volonte est celui d'identite et non de coexistence. Ainsi Cousin reaffirme la suprematie de la raison (Brehier, pp. 578-87, passim). Contrairement a Maine de Biran, Cousin "croit a une causa- lite toute spirituelle; ... " (Madinier, p. 191), c’est-a- dire, selon lui, il y a une causalite interne qui produit des effets: ainsi, par exemple, aucune paralysie ne peut empecher 1'action de la volonte sur elle-meme. De meme la spontaneite contient tout ce que contient la volonte, alors que pour notre auteur c'est 1 'action de la volonte qui de termine si une action est spontanee ou non. Le moi devient ainsi objectif, et ne represente plus 1 'essence de l'acti- 20 Victor Cousin, Du Vrai, du bon, du bien (1853), pp. 50-51, cite par Madinier, p. 189. 159 vite mais seulement 1 'achevement et la determination de 1 'activite: "... spontaneite et volonte sont les deux especes de la liberte qui est puissance agissante" (Madi nier, p. 192). Madinier nous montre comment Cousin a me- connu les tendances reflexives de la philosophie de Maine de Biran (pp. 189-93, passim). En unissant la psychologie a la metaphysique, celui-ci voulait introduire l'eclectisme dans la philosophie: " ... il n'etait pas impossible de trouver quelque voie d'une conciliation desirable; j'ai cru qu'en faisant usage d'une sorte d 1eclectisme... il n'etait pas impos sible de reunir jusqu'a un certain point,les avantages propres a chacun des systemes ... 2^ Mais les eclectiques, a l'exemple de Cousin, ont ignore le role du corps dans la vie psychologique. Pour eclairer l'eclectisme que Cousin a introduit en France et qui domina la pensee pendant la Restauration, il conviendrait de citer Bakounine, qui dit Qu'on s'imagine une vinaigrette philosophique, composee des systemes les plus opposees, un melange de Peres de l'Eglise, de scolastiques, de Descartes, de Pascal, de Kant et de psychologues ecossais, le tout superpose sur les idees divines et innees de Platon et recouvert d'une 21 Maine de Biran, Oeuvres, IV, 138, cite par Gouhier dans Conversions, p. 248. Voir aussi eclectisme, pp. 248- 53, passim. 160 couche d'immanence hegelienne, accompagne necessaire- ment d'une ignorance aussi dedaigneuse que complete des sciences naturelles ... ^2 Cousin s'efforga, non sans artifice, de relier par la rai son la methode empirique aux croyances du sens commun qui existent en tout homme avant la reflexion. Ainsi, il a essaye par le raisonnement de retrouver la realite de la personne, celle de la nature et celle de Dieu, ce qui de- vient le spiritualisme rationaliste (Canivez, "Les Tradi- tionalistes," Histoire de la philosophie, III, 70). Son precurseur incorpora cette trinite des trois vies, animale, humaine et spirituelle, par un examen reflechi et approfondi en mettant en lumiere l'activite interne, la volonte, a laquelle est reliee la conscience du moi, c'est-a-dire en reliant la psychologie a la metaphysique pour aboutir au positivisme spirituel (Ravaisson, p. 275) . Renouvellement de la vision philosophique, psychologique et spiritualiste La philosophie de Maine de Biran a renouvele la methode de reflexion et la methode d1 introspection aboutissant, d'une part, au volontarisme et, de 1 'autre, a la psychologie 22 Emmanuel Mounier, Oeuvres, 3 vols. (Paris: Seuil, 1962), III, 570. 161 experimentale. Si la methode de reflexion est une regres sion analytique pour determiner les sources de 1 'action et des connaissances, la methode de 1 1 introspection consiste dans la submersion de l'etre dans le flux immediat de la 22 conscience. La nouveaute de Maine de Biran dans cette demarche atteste la reaction de la philosophie de I'homme contre I'exces de la philosophie des idees, telle que le rationa- lisme, et I'exces de la vie materielle, telle que l'empi- risme. Sa doctrine de la volonte "a sa place marquee dans la philosophie frangaise" (Tisserand, "La Fecondite,", p. 38). II nous ramene a nous-memes et a mieux examiner nos dispositions pour determiner le meilleur emploi de nos facultes par 1 'experience des rapports que nous avons avec le monde. La recherche des mysteres du mecanisme psychologique entraine Maine de Biran vers 11inconscient et va de pair avec une preoccupation spiritualiste. Sans quitter la psychologie, il veut operer le passage des maximes des saints a leur metaphysique. II declare que 22 Jean Pucelle, "The Meaning of Experience in Maine de Biran's Philosophy," International Philosophical Quar terly, 5, No. 13 (March 1973), 30. 162 ... c'est la psychologie experimentale ou une science d'abord purement reflexive qui doit nous conduire re- gulierement a la determination de nos rapports moraux avec des etres semblables a nous, et religieux avec l'etre superieur infini, d'ou notre ame sort et ou elle tend a retourner par l'exercice des plus sublimes facultes de sa nature. (Journal, II, 377) Ainsi, il veut relier ses recherches a la metaphysique telle qu'il la congoit (Gouhier, Conversions, p. 411), et vers la fin de sa vie, par la priere et sa volonte dirigee vers l'absolu, il joint les deux poles, le moi d'ou tout part et Dieu ou tout aboutit (Oeuvres inedites, III, 375). Le Journal reflete ce long cheminement et 1'inquietude qui le pousse a trouver son authenticity pour arriver a l'Evangile. Nous retrouvons ici la tradition medievale de saint Augustin et celle de saint Frangois de Sales, qui montrerent la necessite du retour a soi par la connaissance et la pratique de la matiere pour acceder non seulement a la connaissance de 1 'esprit, mais a la vie interieure et a la connaissance de Dieu. C'est ainsi que notre auteur rejoint la tradition spiritualiste et devient le "maltre du spiri- tualisme frangais parce qu'il a trouve dans la conscience la 23 voie de l'absolu." 23 Henri Gouhier, Etudes bergsoniennes, 2 vols. (Paris: Albin Michel, 1948), I, 146. 163 Comme nous l'avons vu, Maine de Biran, par ses recher- ches, a ete amene a la nature de 1 'inconscient et, surtout dans le sens spiritualiste, a la decouverte des perceptions obscures et insensibles. Comme le constate Pierre Janet, il "Merite ... d’etre considere comme un precurseur de la 24 psychologie scientifique et experimentale." Selon Tisse- rand, il a "embrasse dans toute son etendue le domaine de la psychologie ... en ce sens on peut dire il est le pere de la psychologie franqaise" {"La Fecondite," p. 48). Felix Ravaisson (1813-1900).— Philosophe et archeolo- gue, il devint inspecteur general de l'enseignement. Ra vaisson reconnait la grande influence de Maine de Biran sur lui par le role que l1effort et la volonte exercent sur la perception. L'auteur du Journal le poussa a l'examen inte rieur de sa conscience. Inspire par les oeuvres philosophiques de Maine de Biran, Ravaisson comprit que "l'habitude eclaire la nature de la volonte en montrant comment un acte libre se trans forme en un penchant spontane" (Lacroze, p. 214). Dans l'habitude et a 1 'interieur de la conscience il chercha a 24 Pierre Janet, L1Automatisme psychologique (Paris: Alcan, 1930), p. 42. 164 saisir la continuite de 1'esprit avec la matiere. Pour Ravaisson comme pour Maine de Biran, l'habitude reste un acte intelligent, mais sans conscience, car il est mecanise ou automatique. Le but de la philosophie de Ravaisson reside dans la saisie de 1'esprit, principe et source de tout etre. Comme son precurseur, par l'activite reflexive il detecte la succession des faits interieurs et le principe actif qui les determine. Sa methode combine la synthese a l'analogie des faits d'experience. Comme il nous dit, sa philosphie est impregnee de Dieu et de la nature: L'absolu de la parfaite personnalite, qui est la sa- gesse et 1 'amour infinis, est le centre perspectif d'ou se comprend le systeme que forme notre personnalite imparfaite, et par suite, celui qui forme toute autre existence, Dieu sert a entendre l'ame, et l'ame, la nature. (Ravaisson, p. 262) Comme Maine de Biran, Ravaisson arrive a la communion avec l'Etre supreme par 1'analyse interieure de sa conscience. Il attribue a la volonte 1 'amour en tant que loi interieure. Pour Ravaisson la volonte est a la base de son monisme, parce qu'en elle convergent et d'elle emanent tous les sen timents vers Dieu et vers la nature. Dans 1'infini, nous dit-il, "en Dieu, la volonte est identique a 1'amour, qui lui-meme ne se distingue pas du bien et de la beaute 165 absolue," et, en meme temps, c'est la volonte qui presente a la sensibilite "des images du bien absolu alterees en quelque sorte par le milieu" (p. 270). Nous voyons que pour Ravaisson la volonte emane du Createur, alors que pour Maine de Biran l'homme se manifeste par sa volonte. Ravaisson a besoin de la raison pour que la volonte puisse eclairer "les elements inferieurs de notre etre" (p. 270) afin de dominer notre nature: pour notre auteur, au contraire, c'est la reflexion qui determine nos actions. Dans La Philosophie en France au XIXe siecle, Ravaisson nous montre comment la science et la physique voulaient detroner la metaphysique. Newton y lisons-nous disait: "Physique, garde-toi de la metaphysique" (p. 273). Ravaisson prevoyait cependant la formation d'un idealisme ou positivisme spiritualiste, ayant pour principe genera- teur la conscience que 1 'esprit prend en lui-meme d'une existence dont il reconnait que toute autre existence derive et depend, et qui n'est autre que son action. (p. 275) Lachelier, Boutroux et Bergson temoignent de la realisation de cette prophesie. Ainsi Ravaisson constitue un lien important dans le developpement du renouvellement du spiri- tualisme frangais, et montre 1 'intime connexion de la nature et de 1 'esprit. 166 Jules Lachelier (1832-1918).— Lachelier, disciple de Ravaisson, approfondit, grace a Kant, le biranisme et le transforma en une philosophie de la connaissance intellec- tuelle. Dans la chaine de 1'histoire des idees frangaises, Lachelier occupe une place importante dans la formation du spiritualisme, qui consiste ... a chercheir dans 1 'esprit 1 'explication de la nature elle-meme, a croire que la pensee inconsciente qui tra- vaille en elle est celle meme qui devient consciente en nous et qu'elle ne travaille que pour arriver a repro- duire un organisme qui lui permette de passer (par la representation de l'espace) de la forme inconsciente a la forme consciente.25 Nous ne connaissons pas 1'ensemble de sa doctrine car il avait interdit toute publication posthume, et on ne dispose que de quelques extraits de notes prises pendant ses cours a l'Ecole Normale, reunies par G. Seailles dans son livre sur La Philosophie de J. Lachelier (1920) (Lacroze, p. 218). Il essaya d'unir la philosophie de Kant a celle de Maine de Biran. Au contact de Kant, il s'entraina dans la rigueur de la logique, et, apres 1 'introduction au biranisme par son maitre Ravaisson, il se replia sur lui-meme pour chercher dans la conscience les origines des connaissances. C'est 25 Note de Lachelier figurant dans A. Lalande, "Spiri tualisme," Vocabulaire de la philosophie (Paris: Presses Universitaires de France, 1968), p. 1020. 167 ainsi qu'il fut araene a introduire en France la methode reflexive. Pour Lachelier, " ... le sujet pensant est completement envahi par l'universel, ce qui permet un passage legitime du psychologique a 1'ontologique" (Canivez, "Aspects de la philosophie franqaise," Histoire de la philosophie, III, 447) . Pour lui comme pour Maine de Biran, la pensee a besoin "d'un sujet qui se distingue des sensations et ensuite que ce sujet reste un dans leur diversite et leur devenir," mais au contraire de notre auteur, "le sujet [doit s'unir] re- ellement et par le dedans a ses sensations" (Madinier, p. 318) . Dans cette conception, la pensee, se repliant sur elle- meme, peut saisir sa nature. Lachelier integre l'univers a la conscience, il rejette le dualisme de l'ame et du corps et s'apergoit que la conscience et 1 'esprit sont au centre de toute connaissance. Par ailleurs, sa philosophie comporte 1'autonomie de la volonte, puique celle-ci nous rend la liberte et la dignite. Nous voyons que par ses idees sur la nature, 1'auto nomie de la volonte et le primat de la conscience, Lache lier rejoint la voie de Maine de Biran. C'est a Lachelier 168 qu'on attribua la parole: "Maine de Biran est notre Kant" (Lacroze, pp. 220-21, passim). Henri Bergson (1859-1941).— Bien qu'on ne puisse pas constater une influence directe de Maine de Biran sur Berg son, celui-ci le reconnut comme son precurseur. Dans sa philosophie on constate en effet, des themes semblables a ceux de notre auteur. On y retrouve 1*experience consideree comme le seule mode veritable de toute connaissance, une sorte de spiritualisme sentimental et le rapport de la cons cience avec 1 'action. La portee de la pensee bergsonienne s'etend surtout sur les faits de la conscience qui ont eu un grand retentisse- ment dans la litterature a la fin du XIXe siecle et au com mencement du XXe siecle, comme en temoignent les romans de Proust et de Gide. Ici nous notons la reconnaissance de Bergson envers son precurseur quand il dit: Quant a la raison, elle est ... comme le voulait Maine de Biran, une intuition du dedans qui nous fait attein- dre les lois essentielles de l'etre.26 Ravaisson, heritier du biranisme, apporta a Bergson le pre mier exemple d'une exigence vraiment metaphysique centree 26 Henri Bergson, Melanges (Paris: Presses Universi- taires de Prance, 1972), p. 391. 169 sur une methode positive du contact des faits reels de la vie interieure. Ainsi Bergson, comme Maine de Biran, trouve ce "fait du sens intime" dans 1 'experience du moi, dans 1*effort moteur volontaire ou intuition de la duree. Tous deux sont philosophes et psychologues et s'attachent a ra- mener les problemes classiques de la philosophie aux donnees immediates de la conscience. Les ressemblances que ces deux penseurs montrent quant au fond des doctrines psychologiques, sont beaucoup plus frappantes. Ainsi par exemple ils ne peuvent concevoir une action orientee sans qu'elle soit eveillee par la cons cience. Mais ils se servent de termes differents pour ex primer le meme element: Maine de Biran parle de "1'effort", alors que Bergson parle de "tension", pour designer cette presence du sujet au monde qui n'est ni la disposition passagere d'un esprit attentif a tel objet particulier, ni cette existence de 1 'auto mate et du reveur ou le moi et par suite la conscience de soi est abolie. (Gouhier, Etudes bergsoniennes, p. 134) De cette fagon ils visent 1'action sentie a 11interieur avec le volo, au lieu de separer la pensee saisie du cogito. C'est-a-dire que le corps est donne a la conscience avec son mouvement. Dans les "Rapports sur le prix Brodin" (1907), Bergson 170 declare: Sur cet effort immanent a la conscience, sur la place privilegiee qu'il occupe dans la philosophie de Maine de Biran, sur la position prise ainsi par ce philo- sophe vis-a-vis de Descartes, de Condillac, et aussi de David Hume, 1'auteur du memoire a ecrit des pages qui doivent etre comptees parmi les meilleures de son travail. (p. 667) De meme, Bergson reconnalt chez son precurseur 1'importance de sa decouverte concernant les profondeurs de l'incons- cient, qui relevent de 1 1 organisation de nos connaissances. Ce sont, dit-il, des vues prises sur notre propre activite et qui de- viennent, par une extension a laquelle Maine de Biran a donne le nom d'induction, les vues sur la realite en generale. (p. 667) II voit aussi en Maine de Biran le psychologue, l'un "des plus penetrants": il le reconnalt meme comme un des pre miers qui ait compris que "1 'observation de soi, ... ne suffit pas en psychologie. Notre psycho-physiologie et sur- tout notre psycho-pathologie lui doivent quelque chose" (p. 670) . Bergson evoque aussi la decouverte faite par notre auteur de la sensation "inconsciente" ou passive qui a eu un tel retentissement dans les theories de 1'automatisme psy- chologique et du retrecissement de la personnalite (p. 670). Dans son Journal Maine de Biran en effet s'interroge a 171 maintes reprises sur les sensations "dont nous ne nous aper- cevons pas." Nous n'y avons pas fait allusion particuliere- ment auparavant xnais nous voudrions souligner son importance ici: En ayant egard a tout cet ensemble de perceptions obscures et de modifications insensibles, il est cer tain que la psychologie experimentale ne peut decrire que la moindre et l'infiniment petite partie des phe- nomenes de l'ame; ... combien de choses se passent en elle avant, ... et qui ne viendront jamais a la con- naissancel (Journal, I, 78-79) Bergson appelle Maine de Biran "le plus metaphysicien des psychologues du siecle dernier" (p. 688), car, selon lui, et, contrairement a Kant, il a estime que 1'esprit humain, grace a l1effort, etait capable d'atteindre l'absolu et d'en faire l'objet de ses speculations. Bergson a egalement prevu 1 'influence croissante que sa philosophie et sa psy chologie exerceraient dans les siecles a venir (p. 1171). Nous nous sommes bornes ici a ne mentionner que quel- ques aspects de 1 *influence de la pensee biranienne portant sur le developpement de la philosophie du spiritualisme et de la psychologie en France jusqu'au commencement du XXe siecle. Aussi bien ne mentionnerons-nous pas ici les doc trines freudiennes du reve ou de 1 1inconscient qui doivent 172 27 leur eclosion au biranisme. George Le Roy, dans son livre, L1Experience de 1'effort et de la grace chez Maine de Biran (1937), a mis en lumiere les aspects du biranisme qui annoncent le bergsonisme. D'autre part, Madinier, dans son livre Conscience et mouve- ment (1938) , s'est applique a montrer les elements qui dis- tinguent ces deux philosophes. Nous signalerons seulement, a titre d'exemple, la difference qui separe Bergson de Maine de Biran quant a la conception du moi. Nous n'avons pas l1intention de montrer la mission ni de Bergson ni celle de notre auteur en tant que philosophes, missions bien diffe- rentes, une telle etude pourrait etre le sujet d'une autre these. En effet pour Bergson, il s'agit d'etablir la liberte du moi et d'etudier le passage du moi socialise et agissant parmi les choses, au moi pur; done le moi s'y perd. Pour Maine de Biran, au contraire, il s'agit du passage de la vie organique et inconsciente a la vie humaine et personnelle; done le moi s'y trouve (Madinier, p. 371). 27 F. C. T. Moore, The Psychology of Maine de Biran (Oxford; Clarendon Press, 1970), pp. 116-18, passim. 173 La phenomenologie La decomposition de la pensee a l'interieur de la conscience a conduit Maine de Biran a signaler le rapport, plus individuel, qui existe entre nos perceptions et la sensation que le monde exterieur leur apporte. C'est lui qui le premier, demontra que nos connaissances se fondent sur la manifestation d'un objet chez le sujet qui le per- goit. L'analyse des sensations, a partir de l1experience interne, aboutit a la decouverte d'une nouvelle realite concrete. Dans 1'experience de la relation du volontaire et de 1 1involontaire, nous avons (ici) la premiere tentative d'une description phenomenologique. Nous avons deja parle au deuxieme chapitre du developpement phenomenologique dans la pensee biranienne. Ici nous remontons aux rapports du moi avec le monde exterieur. Maine de Biran nous dit que " ... nous ne savons rien de nous que ce que nous voyons ou sentons en nous, ou dans les autres, ... " (Journal, I, 167), et cette experience analysee a l'interieur de sa conscience prouve que " ... notre interieur est inconnu a nos sens et ne saurait trouver le chemin de notre pensee" (I, 167). Ainsi, nos connaissances dependent des manifesta tions du monde exterieur. II faut noter que pour Maine de Biran la reflexion 174 s'identifie a la source originelle de toute evidence qui est cogi^o; or, celui-ci se reclame de 1'effort et du mou- moir, done de la volonte (Henry, p. 17). Par le mouvement, Maine de Biran nous propose une nou- velle theorie du monde des connaissances. Ce mode de con naissances est celui de l1experience interne ou le mouvement nous est connu d'un fagon immediate et certaine (Henry, p. 76) . Nous voyon que 11 importance de la pensee biranienne se fonde sur 1 'experience vecue telle qu'elle se manifeste dans le concret par la recherche directe des faits de la cons cience, liberee autant que possible des idees a priori des rationalistes. Ceci fait de Maine de Biran le precurseur de la phenomenologie en ce que sa philosophie apporte deja les elements d'une description des faits et que ces faits sont fondees dans la conscience individuelle selon l'experience vecue. Franz Brentano (1838-1917).— Philosophe et psychologue, Brentano comme Maine de Biran, analyse les elements consti- tutifs de la conscience et nous montre 1 'importance de l'experience vecue. Brentano fut le premier a introduire le le concept "d'intentionalite" en psychologie pour caracte- riser le "phenomene psychique" quand celui-ci est soumis a 175 une modification de sens. "La conscience est cette relation interne a l'objet, qui est pris lui-meme, en tant qu'in- 28 tentionnel, dans le phenomene psychique." Brentano s'appliqua a etudier le contenu precis que l'objet envisage apporte a la conscience a partir de l'expe rience individuelle. Il classa les phenomenes psychologi- ques suivant la fagon dont ils se rapportent a l'objet qui leur est immanent. Cette classification comporte la repre sentation, le jugement et la relation affective. Cette derniere implique 1 'union de la volonte et du sentiment, idee analogue a celle de Maine de Biran mais que d’autres philosophes traditionnels avaient separes. De meme, son concept du jugement montre des ressemblances avec celui de notre auteur. Dans son Memoirs de 1'habitude, Maine de Biran revele la distinction entre le jugement mecanique, produit par l'habitude et la repetition qui combine les evidences, et le jugement reflechi qui provient de 1 'analyse immediate. C'est dans cette derniere que Brentano attribue 1 'importance des valeurs pour verifier les faits qui se . 2 9 presentent a la conscience. 2 8 Rene Scherer, "Husserl," Histoire de la philosophie (Paris: Gallimard, "La Pleiade," 1974), III, 533. 29 - Cf. L'Introduction de O. Kraus a 1'edition de la 176 Ce qui nous interesse dans la doctrine de Brentano c'est que Maine de Biran avait deja envisage les elements de la conscience quasiment congus, par lui et que Husserl, son disciple, les a perpetues, comme nous le verrons main- tenant. Puisque cette analyse du developpement de la pensee biranienne a travers le XIXe siecle a plutot pour objet une etude litteraire, nous nous bornerons a ne jeter qu'un coup d'oeil sur cette phenomenologie. Edmund Husserl (1859-1938).— Dans l'histoire de la philosophie moderne, Husserl est le "createur" de la pheno menologie. II s'est servi du principe "d'intentionalite" de Brentano, et lui a donne une nouvelle direction. Pour Brentano, comme on l'a vu, le concept "d'intentionalite" implique une relation psychologique de la conscience a l'objet existant, c'est-a-dire que nous sommes encore dans la conception du monde biranien de la relation ou les faits de conscience determinent 1'existant, sauf que Brentano se sert d'une nouvelle terminologie pour exprimer les faits et donne des nuances differentes a son vocabulaire. Pour Husserl le concept ''d'intentionalite" prend une nouvelle Psychologie vom empirischen Standpunkt de Brentano (Vienna: Philosophische Bibliothek, 1924), pp. xvii-xciii, passim. 177 acception de transcendance, c'est-a-dire qu'il rejette le contenu subjectif de la conscience en tant que perception du monde. Ainsi "1'intentionalite" devient la relation "transcendentale" d'une conscience qui se cree en creant le sens de l'objet. Nous sommes plus proche ici de l'idealisme parce que Husserl, en logicien et mathematicien, etudie les objets irreels "dont chacun reste numeriquement identique si souvent qu'il soit experimente: ... " (Brehier, p. 970). Cette philosophie vise a decrire les choses "elles- memes" comme elles se presentent au regard naif, en dehors de toute conception conceptuelle. Bien que nous assitions ici a une transformation conceptuelle et que nous soyons deja loin du biranisme, il en reste quant meme des elements essentiels. La methode biranienne de description constitue encore la base de la phenomenologie husserlienne; de meme, l'experience vecue necessaire a la construction de 1 'evi dence continue a jouer son role determinant; enfin, la conscience reste le "medium" ou se deroule le processus de l'experience (Scherer, pp. 526-50, passim). Pour Husserl comme pour Maine de Biran, la reflexion confere un sens aux choses en ce que leurs apparences se manifestent a nous dans notre "mode existant prereflechi." Cependant nous ne nous apercevons pas du "comment" et c'est 178 ce ’ ’comment11 qu'il essaie de decrire. Gabriel Marcel (1889-1974).— La philosophie existentia- liste et chretienne de Marcel, comme celle de Maine de Biran, se deploie a travers 1'itineraire de l'experience vecue. "La pensee [nous dit-il] est un cheminement plus qu'une mise en ordre ... il ne s'agit pas tellement d'edi- ^ „30 fier que de creuser." Marcel, comme notre auteur, tient aussi un journal, le Journal metaphysique (192 7), ou l'on suit la demarche de sa pensee a travers les questions qu'elle se pose. Bien que celle-ci differe entre les deux parties de 1'oeuvre, Marcel, a 1'exemple de Maine de Biran, fait aussi des recherches sur le corps et sur les sensations auxquelles il attribue le primat de 1 'existence. On peut suivre le lent cheminement de Marcel vers le spiritualisme, L'Etre supreme, quete menee a l'interieur de la conscience. Comme notre auteur, Marcel est un penseur personnel, en ce sens qu'il reflechit sur ses experiences qui dans sa propre vie ont pour lui une importance speciale et qui lui 30 Gabriel Marcel, Du Refus a 1'invocation (Paris: Gallimard, 1940), p. 22. 179 semblent revetir une signification et des implications meta physiques . Ses reflexions sont une serie d 1 explorations sur divers themes. En les lisant, on suit un processus de meditation plutot qu'on n'arrive a des conclusions nettes. II est done assez difficile de degager un systeme de la philosophie de Marcel. Mais pour etablir un rapprochement entre Maine de Biran et lui, nous constatons tout d'abord que Marcel, apres avoir ete attire par un positivisms anglo-saxon, s'en est detourne pour revenir au probleme de I'etre. En effet, 1'importance de Marcel reside dans la distinction qu'il etablit entre ce qu'il appelle "le problematique" et "le mystere." Pour lui un probleme est quelque chose qui peut- etre considere d'une maniere purement objective, dans la- quelle I'etre de celui qui questionne n'est nullement en gage; au contraire, "le mystere" est une question qui engage I'etre de celui qui questionne et qui fait que ce question- neur ne peut se meconnaitre. On voit done que Marcel, de meme que Maine de Biran, 31 scrute le domaine de la conscience. Pour Marcel, la 31 Frederick Copleston, Contemporary Philosophy ([Balti more], Maryland: The Newman Press, 1966), pp. 165-73, passim. 180 reflexion est une operation qui combine l'objectif et le subjectif par 1 'intermediaire du mouvant pour saisir 1 'unite du concret du contenu de la conscience, soit 1 'immediatete de l'experience. Pour lui I'etre est un "inepuisable concret" que l'on peut reconnaitre mais non constater. Nous retrouvons ici une des connaissances des apparences de la phenomenologie, car celles-ci dependent de notre conscience qui les pergoit. Madinier nous dit que chez Marcel on trouve "des vues qui prolongent celles de Maine de Biran" (p. 448). Comme lui, Marcel demande a fonder notre existence sur la sensa tion du dedans que nous avons de notre corps. Ainsi, la conscience du corps constitue la matiere du sentiment de 1'existence. Par le mouvement de 1'effort, essentiel dans la pensee biranienne, comme par la reflexion chez Marcel, le corps est considere comme agent spacialisant et mouvant. L'existence ainsi postulee devient 1'acte ou le moi donne son etre a soi-meme: " ... non du corps au sens objectif, mais de mon corps en tant que mien, en tant que mon corps 32 est quelque chose que j'ai." Nous voyons ici le passage qui se fait entre le "je suis" et le "j'ai", concept 32 Gabriel Marcel, Etre et avoir (Paris: Aubier, "Mon taigne," 1935), p. 243. 181 important dans la philosophie de Marcel, qui provient du mouvement ou "rapport mysterieux entre 1 'interne et 1 'ex- 33 terne." Conclusion 0 Le XIX siecle retentit de la voix assourdie mais tou- jours perceptible de 1'oeuvre de Maine de Biran. Mais cet -» © assourdissement est passager, comme le temoigne le XX siecle par le renouvellement de l'interet qui tend a demeler la profondeur et la portee d'une pensee si vaste. Dans cette dissertation, nous avons tente de montrer 1'influence sousjacente de Maine de Biran dans 1'oeuvre de quelques ecrivains les plus connus et qui representent dif- ferents courants de pensee au XIX siecle. Un examen appro- fondi de leurs oeuvres confirmerait sans doute notre these. Nous avons aussi tente d'etablir 1'importance de ses decou- vertes psychologiques et philosophiques qui ont conduit la philosophie vers de nouvelles perspectives. Faute d*avoir reconnu le vrai raerite des implications de cette vaste pensee, le XIX siecle n'a pas pu en recueil- lir tous les fruits. 33 - Cf. Gabriel Marcel, Journal metaphysique, cite dans Madinier, p. 453, n. 1. 182 Ce donne au XX siecle et aux siecles a en profiter. Des etudes seri.euses recement apparues, jettent une nouvelle lumiere sur 1'oeuvre de Maine de Biran. Pour n'en mentionner que quelques-unes, nous remarquons la place don- nee au journal dans le livre d'Alain Girard, Le Journal intime; d'autre part, nous avons maintenant dans son etendue spirituelle Les Conversions de Maine de Biran, l'excellente oeuvre de Henri Gouhier. Un autre ouvrage d'une importance capitale est celui de Jose Echeverria, De 11aperception im mediate , qui traite du probleme de la sensibilite et de la volonte. Enfin, Merleau-Ponty et Paul Ricoeur respective- ment developpent et elargissent les aspects de la pheno menologie, tels que le probleme de la perception et de la volonte traites par ces auteurs. Egalement nous relevons de nouveaux apergus et des etudes sur 1'influence de Maine de Biran subie par des philosophes contemporains, comme celle, par example, subie par Rene Le Senne. Aime Forest a revele recemment qu' On peut reconnaitre sous bien des formes une actualite du Biranisme; cette doctrine est presente aujourd'hui d'une fagon plus manifeste qu'elle ne l'a sans doute jamais ete.3* 34 Aime Forest, "Le Biranisme de Le Senne," Les Etudes philosophigues, N.s., 10, No. 3 (juillet-septembre 1955), 435. CHAPITRE IV CONCLUSION Nous avons donne a titre d'echantillon, seulement quelques fragments de lectures; ce simple exorde montre a quel point les vues et l'optique de Maine de Biran transcen- dent non seulement le XIX siecle, mais surtout a quel point sa pensee devient de plus en plus vivante dans notre siecle. Si le XIXs siecle n'a pas reconnu le vrai merite et 1 'importance de 1 'implication de cette pensee, ce manque de comprehension est du a la negligeance et a l'incapacite de certains editeurs, tels Cousin, de suivre une etincelle qui refletait trop de lumiere pour un oeil naif. L'originalite de Maine de Biran reside dans le fait qu'il est arrive a ses doctrines par sa propre experience de la vie qu'il a si soigneusement et patiemment examinee, comme le montre son Journal. Conforme en cela a la pensee frangaise, il cherche le sentiment de 1 'existence a travers un examen minutieux de sa conscience. Il nous renvoie a une 183 184 nouvelle notion de connaissance, ou la representation du monde se fonde sur le rapport entre notre conscience et les objets exterieurs a nous. Nous soitunes done, deja dans le champ de la relativite de toute connaissance. Mais cette relativite est congue d'une maniere profonde parce qu'elle depend de la manifestation de notre moi. Ce n'est pas simplement comme l'a vu Kant, un manque de connaissance du "Ding an sich"; e'est que la conscience a ses limites. Cette philosophie qui part de la subjectivite de l'in- dividu et qui pour s'expliquer se sert des connaissances psychologiques n'est pas aussi accessible a une comprehen sion profonde comme l'est celle de Kant qui repose sur une logique plus concrete et accessible au raisonnement. De la on peut aisement attribuer la vaste influence que le kan- ^ © tisme a suscitee au XIX siecle, alors que le biranisme reste sousjacent. Comme nous 1'avons vu, le biranisme est une philosophie prise sur le vif et centree sur l'homme. Elle renferme une methode analytique et logique propre a discerner tous les elements a l'interieur de la conscience pour aboutir a une connaissance incontestable du monde et de la personne. En meme temps, elle vise a definir les rapports de l'homme avec lui-meme et avec le monde pour developper ce qu'il y a de 185 meilleur en nous. Enfin, elle aboutit au bonheur par la realisation que nous avons besoin de l'Etre supreme pour appui et soulagement contre tous les defauts de l'homme. Portee partiellement negative du Journal Par ce titre il faut comprendre non pas ce qui touche le fond de 1 'oeuvre mais seulement ce qui touche la forme de ce qu'on appelle une oeuvre litteraire. Si I'on envisage le Journal en tant qu'oeuvre litte raire on peut lui reprocher une faiblesse de style et un manque d'organisation, bien que le Journal en lui-meme re live du genre de la tradition des confessions qui par maints cotes se rapprochent du genre epistolaire. Si on le compare aux Confessions de Rousseau, a celles de saint Augustin, ou au Journal d'Amiel, on etablira aise- ment dans la qualite du style une difference entre Maine de Biran et ces auteurs, difference qui porte particulierement sur 1 'intention de 1 'oeuvre. Une etude comparative, quant au langage et a son ex pression, entre Maine de Biran et ces divers auteurs, at- teste que le style de notre philosophe revile une ecriture depourvue d'images, encore qu'a certains moments, on y re live des elans lyriques, comme par exemple quand il decrit 186 la campagne et nous invite a savourer avec lui les senti ments que celle-ci evoque en lui. Peut-etre qu'alors Maine de Biran subissait seulement une influence momentanee. En revanche, dans le journal, le lecteur n'est pas depayse par le recit, comme dans un roman ou d ’autres oeu vres litteraires; au contraire, il se trouve d'emblee sur un plan d'egalite avec 1'auteur. C'est la ou resident le merite et 1 'importance de ce nouveau genre litteraire. Il evoque et suscite en meme temps la pensee du lecteur; pour satisfaire a l'exigence esthetique, le journal nous offre des themes de meditation qui nous concernent. Ainsi, nous voyons que par son contenu le journal remplit plusieurs fonctions de nature differente: psychotherapique, ethique, esthetique et religieuse. Toutes ces exigences d1attention soit directe, suggeree ou cachee, exprimees dans la litte- rature frangaise a travers les siecles, conferent au jour nal, en tant que genre, son caractere special. Le Journal n'est pas une creation de 1 1 imagination Maine de Biran n'est pas, en ce qui concerne 1'expres sion, ni le poete qu'etait Rousseau ni 1'artiste qu'etait Amiel. Mais ce qui fait sans doute sa valeur et 1'impor tance de son Journal c'est precisement 1'union indissoluble 187 entre 1 *expression et la personne, qui traduit mieux le vrai rythine de sa vie. Dans les descriptions de la campagne, notamment, nous sentons une agitation interne qui se traduit par la nature des attributs; on trouve ainsi par exemple, "la nature ra- jeunie" ou "impressions facheuses", ou encore "ciel cou- vert". II se sert de l'epithete et de la catachrese pour montrer la complexite inherente de la sensation affective que la nature evoque. Elle ne lui donne pas le sentiment de mystere qu'elle provoque chez les romantiques. D'autre part, ce ne sont pas les sentiments qui naissent de 1 1 ima gination du poete, comme chez un Lamartine, qui colorent la nature. Dans le Journal Maine de Biran suit le rythme de ses sentiments tels qu'il les eprouve a travers les vicis situdes de la vie; il ne vise qu'a les observer pour faire une recherche scientifique a partir de sa personne. De meme, la ponctuation dans le Journal laisse a desi- rer. Cela est du a la negligeance de la redaction. On peut aussi reprocher au style de Maine de Biran les frequents non-sequitur qui donnent souvent au Journal un caractere inacheve, une impression de "coq-a-11ane". On pourrait taxer ce style de prolixe. Des phrases excessivement lon gues et encombrees vont a l'encontre de la tradition 188 litteraire frangaise. Mais, en fait, ce reproche n'est pas entierement justifie, etant donne la sinuosite de la pensee qui se cherche en elle-meme pour s'exprimer a travers un langage qui en epouse la forme. Si l'on compare ce style avec celui d'Amiel, par exemple, on est frappe par la qua- lite du mouvement fluide des phrases amieliennes. Comparons ces phrases: Maine de Biran: J'ai oublie presque les malheurs du temps dans ce lieu qui me retrace des souvenirs de jeunesse et je me suis reproche ma legerete: ... (Journal, I, 52) Amiel: Ce matin, l'air etait calme, le ciel legerement voile: J'ai voulu suivre au jardin les progres de la vegeta tion ... (Fragments, I, 51) Maine de Biran decrit dans cette phrase trois sensations qui s'entrecroisent simultanement: 1 'evocation du temps, son souvenir et son reproche. Amiel, en revanche, laisse son sentiment s'impregner de la nature. Mais somme toute, ces reproches que l'on pourrait adresser a Maine de Biran, sont-ils justifies? Ils le seraient si comme Amiel ou Rousseau, ou Gabriel Marcel, notre auteur etait considers comme un ecrivain, alors qu'il est prise surtout comme philosophe. Il semble que Maine de Biran soit trop preoccupe par la description phenomenolo- 189 gique d'une situation globale pour s'offrir le luxe de tout ramener a ses propres sentiments. Ainsi, repetons-le, 1'aspect negatif du Journal n'a trait qu'au style et ne porte nulle atteinte a son apport philosophique, psychologique, voire humanitaire. L'imagination n'a aucune place dans cette recherche scientifique et ne saurait que la detourner de son but. Le Journal ne peut etre considere comme une oeuvre d'art L'art de ce genre d'ecrit consiste dans 1'absence de tout art, dans la spontaneite avec laquelle 1 'auteur exprime son authenticity. C'est a travers les mots et les tournures de la phrase que l'individu se laisse dechiffrer. II arrive que 1 'introspection risque de creer le senti ment meme qu'elle croit observer; alors on pourrait parler d'une oeuvre creatrice. Dans le cas de Maine de Biran, nous sommes en presence d'une analyse des faits tels qu'ils sont pergus par la conscience. Et il semble qu'une recherche de style pourrait etre en detriment de la tache que se donne Maine de Biran dans la mesure ou 1'auteur du journal se preoccupe davantage de communiquer la verite de ses experi ences de maniere la plus spontanee possible afin de ne rien escamoter. 190 Nous soinmes encore loin du Parnasse ou de "L'art pour l'art", qui rejette tout but utilitaire. L'art, a differen- tes epoques, sert au perfectionnement de l'homme, et le journal, dans son jeu de miroir, essaie de reveler les de tours profonds de notre personnalite, souvent voiles par notre imagination. Peut-etre ce jeux de miroirs revele-t-il une sterilite de la raison qui ne se soucie guere du progres de la conscience humaine en general. Mais nous appartenons a un siecle ou l'individu affranchi de toute contrainte imposee par la societe a besoin davantage de s'affirmer tel qu'il est. Nous en avons de bons exemples dans 1'oeuvre de Gide. C'est precisement en nous devoilant le reflet de nos sentiments les plus intimes, que le journal, a notre avis, s'est revele etre le meilleur instrument pour nous depasser. C'est done a ce titre, et par sa fonction sociale que nous le considerons comme une creation des plus elevees de la pensee. La portee positive du Journal L'aspect negatif du Journal ne lui nuit nullement quand on comprend toute la portee positive de ce travail. La recherche de son vrai etre a pousse Maine de Biran a penetrer a l'interieur de sa conscience. L'analyse de son experience vecue ouvre le chemin a une nouvelle apprehension 191 du moi. Grace a la reflexion/ a l'effort voulu, le moi s'apergoit lui-meme comme substance capable des perceptions que les sensations lui apportent. Nous sommes done en pre sence d'une nouvelle optique qui va bouleverser la base de nos connaissances, parce que celles-ci s'exercent a partir de la conscience. C'est la grande decouverte de Maine de Biran, qui le premier a souligne 1'importance de l'experi ence interieure. Jusqu'au XIXe siecle, la philosophie et la science etaient soumises aux faits exterieurs, a 1 'observable, au spacial, aboutissant a l'empirisme. Ou bien, on suivait une chaine logique de raisonnement pour formuler des conclu sions; c'est la methode rationaliste. Mais comme Maine de Biran l'a vu a juste titre, l'individu borne par la raison, en ce que celle-ci depend des dispositions physiques, a besoin d'un absolu et il peut l'atteindre par sa formation spirituelle. Ainsi, notre auteur a reintroduit le spiri- tualisme dans la pensee philosophique fran?aise, tout en lui donnant une nouvelle forme, comme on le vera a la fin de ce chapitre. Oeuvre qui vaut par la recherche analytique minutieuse de l'homme Dans la perspective historique, le corps etait 192 considere distinct de la pensee. Maine de Biran, par la recherche approfondie de tout ce qui concerne sa personne, a suivi le trajet des sensations internes et externes pour montrer le rapport que celles-ci ont avec le moi, comment elles le modifient, et comment elles s'affirment. Dans notre comportement, il a differencie ce qu'il y a de passif, ou d 'automatique, de ce qu'il y a de vraiment actif, ou humain. Ainsi il a decouvert que grace a 1'effort voulu, le moi prend conscience de lui-meme au contact d'un objet ou d'une force qui lui oppose une resistance. C'est alors que la volonte devient le point central de sa doctrine. Tout le developpement de cette doctrine se trouve dans ses oeu vres psychologiques. Une fois etablis les elements qui constituent nos con naissances, Maine de Biran dans son Journal s'observe minu- tieusement pour suivre de pres les rapports du physique et du moral, ainsi que l'origine des idees, des sentiments et des sensations. A cette fin, il s'embarque dans un itine- raire douloureux a l'interieur de sa conscience, decrivant le developpement de chaque impression qu'il apergoit et nous montrant egalement son effet et sa cause. Le Journal devient done la demarche necessaire de ses recherches pour infirmer les doctrines scientifiques 193 developpees dans ses propres oeuvres psychologiques et philosophiques. En outre, le Journal se distingue par 1'experience vecue a travers les meandres de la vie, et fournit le docu ment le plus important et le plus original pour comprendre 1'evolution de la philosophie de Maine de Biran. En matiere de confession, le Journal releve de la verite humaine la plus intime. Cette verite se manifeste comme un rayonnement de reflets les plus complexes et divers, illuminant les differents aspects de l'homme. Mais le Journal sert a notre auteur aussi pour mediter sur la situation politique et sur les problemes philoso phiques courants. II nous presente done un tableau et un document precieux de l'epoque de la Restauration. D1 autre part, le Journal fournit a notre auteur le moyen de retablir sa personnalite, puisque a cause de la faiblesse de son caractere, il n'arrive pas a nouer des rapports satisfaisants avec autrui. Enfin, e'est grace a son Journal qu'il a pu recons- truire toute sa philosophie pour fonder ce qu'il appelle "la science de l'homme" ou Nouveaux essais d 1anthropologie, qu'il pourra achever mais que Tisserand publiera en 1908. Nous voyons done que les rapports entre le Journal et 194 1'oeuvre philosophique de Maine de Biran sont etroits et multiples. Ils servent a s'eclairer l'une 1'autre. Dans le Journal notre auteur a etendu le champ d1 observation jusqu'a decouvrir la collaboration etroite de la motilite avec la sensibillte en chacune de nos sensations, de meme que dans la vie intellectuelle. Sa decouverte en psycho- logie porte sur sa nouvelle methode d'observation fondee sur 1'experience vecue. Elle est toute interieure, et consiste a distinguer ce qui depend de notre pouvoir pour l1action de ce qui est en dehors de nous. Cela menera a un nouvel apergu sur la nature de l'homme qui reside dans 1 'union de 1 'ame et du corps. Denongant la mecanique mentale des ideologues, il cherche le moi dans 1 'effort moteur pour aboutir a 1 'unite d'une initiative interieure et d'une initiative musculaire (Mounier, p. 436). Le Journal s’affirme done comme un instrument important pour la connaissance de soi et la therapeutique du moi de 1'auteur qui ne peut trouver de rapports avec autrui. A ce propos, Gide, dans une discussion avec Charles Du Bos, lui dit: ... n'abandonnez pas votre journal: il se peut que vous ne parveniez pas a faire des oeuvres. Mais votre jour nal est une oeuvre, ... ces difficultes multiples qui vous 195 empechent de produire constituent elles-memes le sujet de votre oeuvre. ... plus d'un d'entre nous se recon- naitrait dans votre peinture, qui se sentirait par elle soulage, et vous en demeurerait reconnaissant. Ce conseil de Gidef resume a notre avis, 1'importance du Journal de Maine de Biran, ainsi que celle de la decouverte de 1 'analyse interieure. Critere d'une nouvelle phenomenologie Toute 1'oeuvre de Maine de Biran porte sur 1'investi gation directe et sur la description du contennu de la cons cience. Ce sont la les deux caracteres essentiels de la phenomenologie. Comme nous l'avons vu, il vise a determiner la representation du monde exterieur telle qu'elle se mani- feste a notre perception. Si ses notions restent encore naives, c'est faute de maturite dans la methode phenomenologique. Il faut recon- naitre qu'il n'avait pas l’utillage philosophique dont dis- posera, par exemple, un Husserl. Maine de Biran, cependant, eut le meme souci pour arriver a la connaissance concrete de la realite d'un ■^Charles Du Bos, Extraits d'un journal, 1908-1928, 2me ed. (Paris: Correa, 1931), decembre 3, 1918. Cite par Girard, p. 92. 196 Brentano, d'un Husserl ou d'un Merleau-Ponty. Victime de son temps, il a tout de meme le merite d'avoir attire 1 'attention epistemologique sur un probleme de donnees de la conscience, et c'est a la demarche de sa pensee et de sa methode qu'on doit lui reconnaltre le titre de precurseur de la phenomenologie. Dans son Journal il medita a maintes reprises sur le probleme de la phenomenologie et on peut y suivre ce deve- loppement dans le trajet de ses decouvertes. En effet, il nous dit: La maniere dont nous percevons et concevons les etres, comme celle dont nous nous apercevons nous- memes, est le resultat du rapport de facultes donnees a une nature donnee. (Journal, II, 21) On constate, cependant, sa difficulte a comprendre l'etendue du probleme par le manque d'une expression pre cise. Par exemple, dans son essai sur L'Influence de 1 'habitude sur la faculte de penser, il distingue, dans 1 'experience des sensations, l'activite sensitive de l'acti vite motrice grace a la manifestation de celle-ci aupres de son sens intime (Oeuvres, II, 14). Cette decouverte est reprise et developpee dans nombre de ramifications par Merleau-Ponty qui, lui, distingue aussi l'activite de la sensation qui prend son origine dans le moi, de celle qui 197 2 s'effectue dans le mol. La reflexion apprend a Maine de Biran la dualite de 1'experience vecue. Cette reflexion est suscitee par sa maladie qui comme il nous le dit le pousse a s'observer vivre, "il faut que la maladie ou 1 *habitude de la reflexion nous forcent a descendre en nous-memes" (Oeuvres, I, 65). Nous n'avons donne ici qu'un apergu de 1’importance de la position de Maine de Biran dans le developpement de la phenomenologie, afin de montrer l'etendue et l'effet de son analyse interieure. Spiritualisme, une voie pour surmonter la souffrance Dans les Nouveaux essais d 1anthropologie, un de ses ouvrages les plus importants, Maine de Biran etudia, vers la fin de sa vie, les rapports d'analogie et d'opposition des trois divisions de la science de l'homme tel qu'il les con- goit: la vie organique, la vie propre de l'homme, et la vie spirituelle. "Il y a en nous [dit-il] une sorte de trinite ou trois natures dans une personne" (Journal, I, 236). Ces mots, il les a ecrit dans son Journal au mois de novembre de 2 - Maurice Merleau-Ponty, Phenomenologie de la perception (Paris: Gallimard, 1945), pp. 106-25, 240-80, passim. 198 1816; nous voyons done que ces idees et conceptions l'ont occupe pendant les dernieres annees de sa vie. La premiere "vie", telle qu'il la congoit, comprend les phenomenes de la vie animale ou la vie organique. La deuxi- eme "vie" renferme les faits relatifs a la vie propre de l'homme; l'homme sentant et pensant, soumis aux passions de la vie animale, mais libre d’agir en personne morale. Cette "vie" est representee par l'homme qui exerce ses diverses operations intellectuelles et qui trouvent leur principe dans la conscience du moi. La troisieme "vie", a son avis la plus importante, "est celle que la philosophie a cru jusqu'a present devoir abandonner aux speculations du mysti- cisme," mais elle vient aussi, continue-t-il, "se resoudre en faits d'observation, puises dans une nature elevee, il est vrai, au-dessus des sens, mais non point etrangere a 1'esprit qui connait Dieu et lui-meme" (Oeuvres, XIV, 223). D'apres notre auteur, cette division comprend les faits et les actes de la vie spirituelle et ces caracteres se trou vent dans l'Evangile. Quelques mois avant sa mort, dans son Journal, Maine de Biran a propos de son etude de l'homme fait allusion aux trois vies. Il nous dit; De cette analyse bien faite, de ces divers caracteres 199 bien traces, resulterait le traite le plus instructif et le plus complet d1anthropologie qui ait ete fait jusqu'a present. Chacune de ces parties de la science de l'homme ayant ete traitee separement ... comme si elle etait seule ou representait seule l'homme tout entier. (Journal, II, 389-90) C'est cette troisieme "vie" qui 1'interesse et le pre- occupe. "Quand tout serait d'accord et en harmonie entre les facultes sensitives et actives qui constituent l'homme," ecrit-il dans son Journal au mois de septembre 1823, il y aurait encore une nature superieure, une 3e vie qui ne serait pas satisfaite, et ferait sentir qu'il y a un autre bonheur, ... au dela du plus grand bonheur humain, de la plus haute sagesse ou perfection intel- lectuelle et morale dont l'etre humain soit susceptible. (Journal, III, 192) A son point de vue, a la fin de la vie, c'est le christianisme seul qui revele a l'homme cette troisieme vie, superieure a celle de la sensibilite et a celle de la vo lonte humaines. Aucun autre systeme de philosophie ne s'est eleve jusque la. La philosophie stoxcienne que Maine de Biran a tant admiree dans sa jeunesse, se limite a la deuxi- eme vie; Marc-Aurele, selon Maine de Biran, exagere le pou- voir de la volonte et de la raison sur les passions de la vie sensitive. Mais, dit-il, "il y a quelque chose de plus, c'est 1 'absorption de la raison et de la volonte dans une force supreme, ... " (Oeuvres, XIV, 373). 200 Six ans auparavant, comme 1'atteste le Journal, il trouva que la morale stoi’ cienne etait contraire a la nature de l'homme, parce qu'elle tendait a faire entrer sous 1 'em pire de la volonte les affections, les sentiments, ou bien les causes d'excitations qui n'en dependent en aucune raa- niere. Ainsi le stoicisme, selon lui, "aneantit une partie meme de l'homme dont il ne peut se detacher" (Journal, II, 67) . Esprit tres analytique comme nous l'avons vu, Maine de Biran essaie de concilier le stoicisme avec le christia- nisme. Il reproche aux deux systemes leur vue extreme. Au stoicisme il reproche d'accorder trop d'empire a la volonte et de faire abstraction complete de la sensibilite dont l'exercice n'est pas dans notre pouvoir. Domini par une sante maladive, sa propre experience lui apprend que la volonte depend jusqu'a un certain point de la disposition de nos organes. Par contre, le christianisme selon Maine de Biran ote "presque tout pouvoir a la volonte humaine: ... " (II, 8 8), ce qui rendrait l'homme incapable d'exercer ses facultes. Notre auteur croit done que les deux systemes sont "outres". II constate que Dieu nous a donne une force par laquelle nous pouvons nous modifier jusqu'a un certain point, tout en restant conscients de notre personne (II, 89). 201 Cependant pour resister aux causes perturbatrices de notre constitution, nous pouvons recourir a la religion. En reconnaissant qu'il y a une troisieme "vie" supe rieure a l'animalite et a l'humanite, il ne faut pas ou- blier, dit Maine de Biran, que l'animalite et l'humanite ne seront pas detruites tant que l'homme subsiste. "Il y a [dit-il] des etats extatiques superieurement intellectuels ^ Q ^ ou cette 3 vie domine seule, ce sont des etats transitoires momentanes et contre nature, des effets de la grace" (II, 342) . Mais sa croyance ne reste pas ferme. Elle chancelle entre les faits logiques de la science et les faits de son coeur. Ainsi il constate qu'il ne comprend pas comment 1 'esprit de verite pouvait etre en nous sans s'identifer avec notre moi. "J'entends maintenant [dit-il], la commu nication interieure d'un esprit superieur a nous qui nous parle, ... " (II, 419). C'est le point d'appui qu'il cher- che toute sa vie et qu'il trouve apres ce long voyage a 1 'interieur de sa conscience, et qu'il atteint par la priere, la meditation, la reflexion et sa volonte. Maine de Biran a essaie de cultiver cette troisieme vie pour lui-meme, mais il n'a pas tout a fait reussi. ... si l'on se mele au monde, si on veut subir sa loi 202 au lieu de la juger et de se tenir au-dessus par 1 'esprit qui le met a sa valeur, on est au-dessous de tout ce qui est dans ce monde, ... (II, 420) Il comprend cela tres bien, parce que le monde I'a toujours tente, et il a parfois cede a ses tentations. Epilogue Il est digne d'interet de voir que Maine de Biran ait pu conduire une investigation de la conscience dans une periode ou la souverainete de la raison avait un droit ab- solu, et il est remarquable aussi que sa pensee ait pu evo- luer dans un monde congu de maniere mecaniste selon les donnees newtoniennes et c'est ici que Maine de Biran fait preuve d'originalite puisque sa pensee s'oppose dans bien des egards a celle de son siecle. Si ce n'etait que pour le XVIIIe siecle qui a ouvert les voies de la recherche objec tive des faits et on ne peut que se demander ce que Maine de Biran aurait congu et approfondi dans le siecle comme le notre qui est celui de la relativite d'Heisenberg, Plank, etc., siecle qui essaie de penetrer de nouveau 1 'ascendant spiritualiste. CHAPITRE V BIOGRAPHIE DE MAINE DE BIRAN La famille de Maine de Biran est issue d'une longue lignee de maires de Bergerac des le XVIe siecle. Son pere etait medecin et lui-meme commence sa carriere publique en 1789/ le 5-6 d'octobre/ date a laquelle on le trouve en tant que garde de corps defendant le roi en peril a Versailles. Pendant la Terreur il se refugie chez lui a Grateloup et se consacre aux etudes de philosophie, de science, et de mathe- matiques. En 1795 il occupe le poste d'administrateur du departement de la Dordogne. En 1797, secretement royaliste il defend au Conseil des Cinq-Cents les principes politiques qui avaient dirige et inspire son administration. En 1805 il est appele au poste de conseiller de prefecture a Peri- gueux. Nomme sous-prefet de Bergerac en 1806, il veille a 1 'execution des travaux d'utilite generale; il prend des mesures pour empecher le deboisement des forets, pour popu lar iser 1 'usage de la vaccine et pour encourager les divers 203 204 etablissements d 1 instruction. II fonde enfin une Societe medicale qui rendit des services locaux. Il se fait nommer president d'une loge magonnique, la Loge de la Fidelite. Preoccupe des questions d'education et bon disciple de Rousseau qui voit dans 1'Emile une sorte de "psychologie pratique", il entre en rapports avec le pedagogue suisse Pestalozzi et lui demande de lui envoyer un de ses Sieves _ 1 pour acclimater a Bergerac les methodes nouvelles. Il s'est donne corps et aine a la politique et consacra ses veilles aux taches administratives les plus ingrates. Lorsque, depute de Bergerac, il fait partie de la commission des Cinq en 1813 dont il est un des signataires du rapport Laine qui constitue la seule opposition parlamentaire au despotisme de Napoleon. Comme Montaigne, il considere le service public la vocation la plus honorable. Mais, alors que Montaigne n'a jamais voulu que "se prester a autrui pour ne se donner qu'a soi meme", Maine de Biran s'est sacrifie a ses concitoyens. En 1816 il est elu conseiller d'Etat; poste qu'il occupera "'"Victor Giraud, "Maine de Biran," Moralistes franqais (Paris: Hachette, 1923), pp. 115-49, passim. 205 jusqu'a sa mort. Pendant sept annees il connut le bonheur du mariage avec Marie-Louise Fournier du Fradeil, qui lui donna trois enfants, un fils et deux filles. Une terrible epreuve met brusquement fin a ces annees de bonheur. Sa femme meurt en 1803. Il n'oublia jamais cette "epouse celeste". Il se remarie en 1814 avec Louise-Anne Favareilhes de Lacoustete, mais c'est plutot un mariage de raison (Gouhier, Oeuvres choisies, pp. 8-9). Cette petite esquisse biographique pourrait etre com- pletee par son ami Van Hulthem qui definit Maine de Biran ainsi: A Pierre Maine de Biran, depute de la Dordogne, savant mathematicien, metaphysicien profond, aimant tous les arts et toutes les sciences et, qui est, doue de toutes les vertus, dont la belle ame, 1 'excellent coeur, la candeur, la modestie, la douceur des moeurs font le charme de tous ceux qui ont le bonheur de le connaitre, aimant au-dessus de tout la justice, compatissant aux malheurs de ses semblables, les consolant et les aidant dans leurs besoins, bon pere, bon epoux, ami vrai et sincere. (Cite par Lassaigne, pp. 16-17) Jean Lassaigne, Maine de Biran; Homme politique (Paris: La Colombe, 1958), pp. 1-17, passim. B I B L I O G R A P H I E 206 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages cites Alciatore, J. C. "Les Emprunts de Beyle a Maine de Biran." Stendhal et Maine de Biran. Geneve: Droz, 1954. Amiel, Henri Frederic. Fragments d'un journal. 2 vols. Paris: G. 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Core Title
Le "Journal" De Maine De Biran. (French Text)
Degree
Doctor of Philosophy
Degree Program
French
Publisher
University of Southern California
(original),
University of Southern California. Libraries
(digital)
Tag
literature, romance,OAI-PMH Harvest
Language
English
Contributor
Digitized by ProQuest
(provenance)
Advisor
Solovieff, George W. (
committee chair
), Berkey, Max Leslie, Jr. (
committee member
), MacGregor, Geddes (
committee member
)
Permanent Link (DOI)
https://doi.org/10.25549/usctheses-c20-550537
Unique identifier
UC11225810
Identifier
7528611.pdf (filename),usctheses-c20-550537 (legacy record id)
Legacy Identifier
7528611.pdf
Dmrecord
550537
Document Type
Dissertation
Rights
Anker, Marion Vera
Type
texts
Source
University of Southern California
(contributing entity),
University of Southern California Dissertations and Theses
(collection)
Access Conditions
The author retains rights to his/her dissertation, thesis or other graduate work according to U.S. copyright law. Electronic access is being provided by the USC Libraries in agreement with the au...
Repository Name
University of Southern California Digital Library
Repository Location
USC Digital Library, University of Southern California, University Park Campus, Los Angeles, California 90089, USA
Tags
literature, romance