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Il 26 PRESENCE AFRICAIN H « Au milieu des jardins de Lobito4, M. Escudeiro tourne vers moi un regard paisiblement méditatif. « L'Angola, dit-il d'un air songeur, c'est un petit coin de paradis en Afrique, je le dis toujours. >» « Un type spécial de paradis. Comme je devais le constater par la suite, les dossiers du département des Affaires indigènes à Rouanda, la capitale, accusent le chiffre de trois cent soixante-dix-neuf mille contratados ou travailleurs forcés, qui sont de véritables esclaves. Voilà un coin de paradis qui a sans doute plus de chances d'être plus près de l'enfer que beaucoup d'autres. » Plus loin, Rasil Davidson ajoute : « L'Angola est singulière parce que le travail forcé y reste le moteur essentiel de l'économie du pays. Les employeurs qui veulent de la main-d'œuvre forcée en passent la commande au gouvernement général. Le gouvernement général alloue des contratados d'après un calcul théorique du nombre des travailleurs disponibles pour la conscription à n'importe quelle période donnée. Les demandes de main-d'œuvre sont ensuite envoyées aux administrateurs locaux disséminés dans tout le pays; et le « chef de Posto », par l'entremise de ses chefs locaux, est alors obligé de recruter le nombre d'hommes requis par la ou les commandes. « La plupart de ces contrats, comme le disait M. Kscudeiro, sont des contrats collectifs. Ils n'ont aucun rapport avec un accord conclu par deux parties dans une transaction ordinaire. Ils sont généralement signés par le « chef de Poste » et par le chef indigène qui amènent les hommes enrôlés ; et ce sont toujours de simples trompe-l'œil pour un monde qui désapprouve le travail forcé. » John Gunther, journaliste américain, auteur de L'autre Afrique* écrit encore : « A mon sens, la pire chose en Afrique portugaise. c'est le travail forcé. Les autorités portugaises non seulement ne s'en cachent pas, mais le jugent même nécessaire et disent que « cela fait du bien » à ceux qui le font. « Elles l'appellent « travail dirigé ». Ce système devient une forme d'esclavage; l'homme est rabaissé au rang de cheptel. Voici comment : un planteur fait savoir au gouvernement qu'il a besoin de tant d'hommes, et le « chef de Poste » local est chargé de les lui fournir. Des recruteurs indigènes s'en vont dans les villages et rassemblent le nombre d'hommes exigé. « Mais pour être sûr de recevoir ses recrues, le planteur doit indemniser le « chef de Poste » ; celui-ci est souvent un personnage vénal : le pot-de-vin représente généralement dix fois le salaire prévu au contrat du travailleur pour six mois. Il est difficile d'ima- 4. Ville du centre de l'Angola. 5. Editions (iallimard, 195N. ^—*»-- PORTUGAL ET COLONIES D'ANGOLA.ET GUINEE 27 gincr rien de plus immoral. Le « chef de Poste » s'efforce, bien entendu, de rassembler le plus grand nombre de travailleurs pour toucher plus d'argent. En tout état de cause, il reçoit dix fois plus d'argent que n'en vaut l'homme qu'il fournit. Donc sur l'iniquité initiale du travail forcé s'en greffe une deuxième : son exploitation par les fonctionnaires. « Les pots-de-vin, interdits, sont cependant ouvertement pratiqués. Si un « chef de Poste » a été l'objet de plaintes répétées, on se borne a le déplacer : on le transfère de la brousse <;i une ville comme Beira*, par exemple. » Les journalistes français Pierre et Renée G os set, qui ont effectué un périple à travers l'Afrique, nous livrent, eux aussi, leurs réflexions et les résultats de leurs observations". « On nous a bien expliqué, disent-ils, que la seule discrimination vis-à-vis d'* l'indigène consistait à distinguer le civilisé du non-civilisé. L'Africain ayant prouvé qu'il sait lire et écrire, qu'il est bon catholique pratiquant, qu'il gagne honorablement sa vie et qu'il vit h l'européenne, obtient la carte d'assimilado. Il est citoyen portugais de premier rang. Il en a quelques droits (y compris celui de l'éducation gratuite pour ses enfants) et toutes les obligations (notamment celle de payer les impôts). Il peut se promener dans les rues après neuf heures du soir, fréquenter les cinémas, envoyer ses enfants dans les mêmes écoles que les enfants blancs. « Nous interrompons, stupéfaits : « — Les autres ne le peuvent donc pas? Mais vous nous avez dit que rien dans la loi portugaise... « — La loi, non. Mais il y a des règlements de police, n'est-ce pas? » « Une autre question nous brûle les lèvres : combien le Mozambique comple-t-il aujourd'hui Û'assimilados, de ces Noirs civilisés, Portugais de premier rang qui seraient électeurs si le Portugais lui-même l'était. « 5.000 sur une population de 5.800.000 habitants. 5.000 sur 93.000 citoyens civilisés, de première classe (Portugais, autres Européens, Indiens, etc.). En près de cinq siècles de colonisation pas un Noir sur mille n'a été assimilé. « On ne sait pas pour qui le temps travaille, ici. On ne le sait pas encore. Mais le fait est qu'il travaille sans se presser. » « Mais, nous disent encore Pierre et Renée Gossct, ces 5.000 assi- milodos nous n'en voyons toujours pas la trace, ni dans les grands cafés de l'avenue de la République, ni au restaurant de l'Avis, ni sur la plage à la mode de l'hôtel Polana. 6. l'ne ville du Mozambique (note de l'auteur). 7. Articles parus dans le journal belge Le Soir ui journal français Le Figaro daté du H-n septembre 1957.
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Full text | Il 26 PRESENCE AFRICAIN H « Au milieu des jardins de Lobito4, M. Escudeiro tourne vers moi un regard paisiblement méditatif. « L'Angola, dit-il d'un air songeur, c'est un petit coin de paradis en Afrique, je le dis toujours. >» « Un type spécial de paradis. Comme je devais le constater par la suite, les dossiers du département des Affaires indigènes à Rouanda, la capitale, accusent le chiffre de trois cent soixante-dix-neuf mille contratados ou travailleurs forcés, qui sont de véritables esclaves. Voilà un coin de paradis qui a sans doute plus de chances d'être plus près de l'enfer que beaucoup d'autres. » Plus loin, Rasil Davidson ajoute : « L'Angola est singulière parce que le travail forcé y reste le moteur essentiel de l'économie du pays. Les employeurs qui veulent de la main-d'œuvre forcée en passent la commande au gouvernement général. Le gouvernement général alloue des contratados d'après un calcul théorique du nombre des travailleurs disponibles pour la conscription à n'importe quelle période donnée. Les demandes de main-d'œuvre sont ensuite envoyées aux administrateurs locaux disséminés dans tout le pays; et le « chef de Posto », par l'entremise de ses chefs locaux, est alors obligé de recruter le nombre d'hommes requis par la ou les commandes. « La plupart de ces contrats, comme le disait M. Kscudeiro, sont des contrats collectifs. Ils n'ont aucun rapport avec un accord conclu par deux parties dans une transaction ordinaire. Ils sont généralement signés par le « chef de Poste » et par le chef indigène qui amènent les hommes enrôlés ; et ce sont toujours de simples trompe-l'œil pour un monde qui désapprouve le travail forcé. » John Gunther, journaliste américain, auteur de L'autre Afrique* écrit encore : « A mon sens, la pire chose en Afrique portugaise. c'est le travail forcé. Les autorités portugaises non seulement ne s'en cachent pas, mais le jugent même nécessaire et disent que « cela fait du bien » à ceux qui le font. « Elles l'appellent « travail dirigé ». Ce système devient une forme d'esclavage; l'homme est rabaissé au rang de cheptel. Voici comment : un planteur fait savoir au gouvernement qu'il a besoin de tant d'hommes, et le « chef de Poste » local est chargé de les lui fournir. Des recruteurs indigènes s'en vont dans les villages et rassemblent le nombre d'hommes exigé. « Mais pour être sûr de recevoir ses recrues, le planteur doit indemniser le « chef de Poste » ; celui-ci est souvent un personnage vénal : le pot-de-vin représente généralement dix fois le salaire prévu au contrat du travailleur pour six mois. Il est difficile d'ima- 4. Ville du centre de l'Angola. 5. Editions (iallimard, 195N. ^—*»-- PORTUGAL ET COLONIES D'ANGOLA.ET GUINEE 27 gincr rien de plus immoral. Le « chef de Poste » s'efforce, bien entendu, de rassembler le plus grand nombre de travailleurs pour toucher plus d'argent. En tout état de cause, il reçoit dix fois plus d'argent que n'en vaut l'homme qu'il fournit. Donc sur l'iniquité initiale du travail forcé s'en greffe une deuxième : son exploitation par les fonctionnaires. « Les pots-de-vin, interdits, sont cependant ouvertement pratiqués. Si un « chef de Poste » a été l'objet de plaintes répétées, on se borne a le déplacer : on le transfère de la brousse <;i une ville comme Beira*, par exemple. » Les journalistes français Pierre et Renée G os set, qui ont effectué un périple à travers l'Afrique, nous livrent, eux aussi, leurs réflexions et les résultats de leurs observations". « On nous a bien expliqué, disent-ils, que la seule discrimination vis-à-vis d'* l'indigène consistait à distinguer le civilisé du non-civilisé. L'Africain ayant prouvé qu'il sait lire et écrire, qu'il est bon catholique pratiquant, qu'il gagne honorablement sa vie et qu'il vit h l'européenne, obtient la carte d'assimilado. Il est citoyen portugais de premier rang. Il en a quelques droits (y compris celui de l'éducation gratuite pour ses enfants) et toutes les obligations (notamment celle de payer les impôts). Il peut se promener dans les rues après neuf heures du soir, fréquenter les cinémas, envoyer ses enfants dans les mêmes écoles que les enfants blancs. « Nous interrompons, stupéfaits : « — Les autres ne le peuvent donc pas? Mais vous nous avez dit que rien dans la loi portugaise... « — La loi, non. Mais il y a des règlements de police, n'est-ce pas? » « Une autre question nous brûle les lèvres : combien le Mozambique comple-t-il aujourd'hui Û'assimilados, de ces Noirs civilisés, Portugais de premier rang qui seraient électeurs si le Portugais lui-même l'était. « 5.000 sur une population de 5.800.000 habitants. 5.000 sur 93.000 citoyens civilisés, de première classe (Portugais, autres Européens, Indiens, etc.). En près de cinq siècles de colonisation pas un Noir sur mille n'a été assimilé. « On ne sait pas pour qui le temps travaille, ici. On ne le sait pas encore. Mais le fait est qu'il travaille sans se presser. » « Mais, nous disent encore Pierre et Renée Gossct, ces 5.000 assi- milodos nous n'en voyons toujours pas la trace, ni dans les grands cafés de l'avenue de la République, ni au restaurant de l'Avis, ni sur la plage à la mode de l'hôtel Polana. 6. l'ne ville du Mozambique (note de l'auteur). 7. Articles parus dans le journal belge Le Soir ui journal français Le Figaro daté du H-n septembre 1957. |
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