CENPA-314~09 |
Save page Remove page | Previous | 9 of 11 | Next |
|
small (250x250 max)
medium (500x500 max)
Large (1000x1000 max)
Extra Large
large ( > 500x500)
Full Resolution
All (PDF)
|
This page
All
|
Loading content ...
218 PRÉSENCE AFRICAINE 3 juillet 1962 : Un groupe, constitué par trois chefs des localités de Mocim- boa, du Rovuma, un féticheur du Tanganyika et deux de ses aides, ont reçu leurs oc notes d'inculpation » du Tribunal Militaire. Ils sont accusés d'avoir préparé la Révolution dans le Nord du pays. Comme nous sommes en fin de semaine, il m'est impossible de tenter de leur trouver un défenseur. En compagnie de Zacarias Vanomba, je me réunis séparément avec chacun d'entre eux, en leur faisant remarquer, que ce délai étant trop restreint, une défense écrite s'imposait, faite au nom d'un des responsables. Je leur lis l'accusation qui pesait sur eux et qui était très grave, et je me proposai pour l'élaboration écrite de leur défense. Il suffirait que l'un d'entre eux, ou Zacarias, la recopie. J'obtins au Secrétariat de la prison — tenu par deux détenus de droit commun accusés d'un « hold up » aux P.T.T. — un exemplaire du Code Pénal, et je pus consulter les comptes rendus de Procès antérieurs. Après 8 heures du travail, j'élaborai la défense qui fut ensuite remise à mon ami le voleur afin qu'il la fasse suivre d'urgence au Tribunal Militaire, et gagne ainsi de vitesse la Pide, pour qu'elle n'en prenne pas connaissance. La date du procès de ces hommes n'a pas encore été fixée. 4 juillet 1962 : On a transféré dans nos locaux, venant des cellules de la PIDE, qui se trouvent non loin du pénitencier, cinquante et un prisonniers politiques originaires des districts de Cabo Delgado. Le procès des 51 aura lieu devant le Tribunal Militaire. A travers Zacarias j'ai pris contact avec deux ou trois d'entre eux, pour leur proposer qu'ils confient leur défense aux avocats chargés de la nôtre. Pour obtenir les fonds nécessaires, je leur suggérai de suivre notre exemple. Nous avions adressé une demande au Directeur de la prison, afin qu'on nous accepte comme donneurs de sang. Et nous reçûmes 250 escudos (près de 45 francs). Car si bien les avocats étaient disposés à nous défendre pour rien, l'avoué exigeait 225 escudos pour chacun d'entre nous. Ma proposition fut acceptée. 5 juillet 1962 : Depuis hier, j'écoute ce que racontent nos nouveaux compagnons de prison. Presque tous ont été barbarement torturés, aussi bien dans les locaux de l'administration et de la caserne de Mocimboa da Praia, comme plus tard, au siège de la Pide, à Lourenço Marques. Tous me parlent d'un certain Chambino, secrétaire administratif, dont la cruauté dépassait celle des autres. JOURNAL DE PRISON 219 C'est avec un sentiment de révolte et ému à l'extrême, que j'entendais les descriptions de ces interrogatoires, faites par certaines des victimes : Magnus Tender Clifford, Antonio Mum- boenda, Samuel Saide Suale, Antonio Cheira, Lourenço Maina, Tomaz Saide, Aimba Salimo, Alfredo Dastan Serio et Fernando Bonga Labucha, un gamin de quinze ans à peine. Ce dernier me raconta que pendant les interrogatoires on lui plaçait sur la tête des poids de 20 à 30 kilogrammes. D'autres me racontèrent que le nommé Chambino leur introduisait des cigaretttes allumées dans les fosses nasales. Clifford fut giflé en public à l'aéroport de Mocimboa, le 12 janvier de cette année-ci. 7 juillet 1962 : Nous vivons des moments absurdes. L'heure la plus grave, l'époque de crises les plus aiguës parmi ceux qui oppriment aussi bien le peuple portugais que les populations africaines. Pour eux, il y a une seule issue : tenter de réduire à l'impuissance les éléments qui constituent ou pourraient constituer une force positive dans le combat. Tenter de réduire les forces de libération nationale au silence, en les enfermant dans des prisons ; en martyrisant les révolutionnaires (et pour être considéré tel, il suffit qu'un musulman fasse ses prières habituelles au moment, par exemple, où un pays limitrophe fête le jour de son indépendance), les expulsant, les exilant, et propageant la peur parmi les populations africaines de l'intérieur du pays... annonçant continuellement des représailles, etc.. Nous abordons aujourd'hui la question des délateurs, à propos d'un interprète qui apparut parmi les prisonniers politiques de Cabo Delgado. Qui pourrait l'assurer ? Et les dizaines d'Africains du Sud qui sont des délateurs payés par la Pide ? Et les délateurs blancs, surtout fonctionnaires publics, qui le sont volontairement afin de faire carrière dans leurs services respectifs ? Si la corruption est un lieu commun dans les principaux centres urbains du Portugal, elle est encore plus prononcée parmi les minorités privilégiées de ses colonies. Si au Portugal continental, le slogan du régime est « Nous tous, un troupeau », et le peuple est éduqué dans une fausse conception de la culture, tandis qu'on annihile son sens critique et sa personnalité individuelle, dans les colonies l'éducation des masses est intentionnellement encore plus limitée et déformée. Il y a quelques instants, j'ai reçu la communication de mon transfert dans une autre cellule de la prison afin de m'isoler des autres. La Pide continue à exercer ses pressions sur le directeur de la prison, et à maintenir à son service, comme informateur, le chef des gardiens. Celui-ci a des espions, parmi les prisonniers
Object Description
Description
Title | CENPA-314~09 |
Filename | CENPA-314~09.tiff |
Full text | 218 PRÉSENCE AFRICAINE 3 juillet 1962 : Un groupe, constitué par trois chefs des localités de Mocim- boa, du Rovuma, un féticheur du Tanganyika et deux de ses aides, ont reçu leurs oc notes d'inculpation » du Tribunal Militaire. Ils sont accusés d'avoir préparé la Révolution dans le Nord du pays. Comme nous sommes en fin de semaine, il m'est impossible de tenter de leur trouver un défenseur. En compagnie de Zacarias Vanomba, je me réunis séparément avec chacun d'entre eux, en leur faisant remarquer, que ce délai étant trop restreint, une défense écrite s'imposait, faite au nom d'un des responsables. Je leur lis l'accusation qui pesait sur eux et qui était très grave, et je me proposai pour l'élaboration écrite de leur défense. Il suffirait que l'un d'entre eux, ou Zacarias, la recopie. J'obtins au Secrétariat de la prison — tenu par deux détenus de droit commun accusés d'un « hold up » aux P.T.T. — un exemplaire du Code Pénal, et je pus consulter les comptes rendus de Procès antérieurs. Après 8 heures du travail, j'élaborai la défense qui fut ensuite remise à mon ami le voleur afin qu'il la fasse suivre d'urgence au Tribunal Militaire, et gagne ainsi de vitesse la Pide, pour qu'elle n'en prenne pas connaissance. La date du procès de ces hommes n'a pas encore été fixée. 4 juillet 1962 : On a transféré dans nos locaux, venant des cellules de la PIDE, qui se trouvent non loin du pénitencier, cinquante et un prisonniers politiques originaires des districts de Cabo Delgado. Le procès des 51 aura lieu devant le Tribunal Militaire. A travers Zacarias j'ai pris contact avec deux ou trois d'entre eux, pour leur proposer qu'ils confient leur défense aux avocats chargés de la nôtre. Pour obtenir les fonds nécessaires, je leur suggérai de suivre notre exemple. Nous avions adressé une demande au Directeur de la prison, afin qu'on nous accepte comme donneurs de sang. Et nous reçûmes 250 escudos (près de 45 francs). Car si bien les avocats étaient disposés à nous défendre pour rien, l'avoué exigeait 225 escudos pour chacun d'entre nous. Ma proposition fut acceptée. 5 juillet 1962 : Depuis hier, j'écoute ce que racontent nos nouveaux compagnons de prison. Presque tous ont été barbarement torturés, aussi bien dans les locaux de l'administration et de la caserne de Mocimboa da Praia, comme plus tard, au siège de la Pide, à Lourenço Marques. Tous me parlent d'un certain Chambino, secrétaire administratif, dont la cruauté dépassait celle des autres. JOURNAL DE PRISON 219 C'est avec un sentiment de révolte et ému à l'extrême, que j'entendais les descriptions de ces interrogatoires, faites par certaines des victimes : Magnus Tender Clifford, Antonio Mum- boenda, Samuel Saide Suale, Antonio Cheira, Lourenço Maina, Tomaz Saide, Aimba Salimo, Alfredo Dastan Serio et Fernando Bonga Labucha, un gamin de quinze ans à peine. Ce dernier me raconta que pendant les interrogatoires on lui plaçait sur la tête des poids de 20 à 30 kilogrammes. D'autres me racontèrent que le nommé Chambino leur introduisait des cigaretttes allumées dans les fosses nasales. Clifford fut giflé en public à l'aéroport de Mocimboa, le 12 janvier de cette année-ci. 7 juillet 1962 : Nous vivons des moments absurdes. L'heure la plus grave, l'époque de crises les plus aiguës parmi ceux qui oppriment aussi bien le peuple portugais que les populations africaines. Pour eux, il y a une seule issue : tenter de réduire à l'impuissance les éléments qui constituent ou pourraient constituer une force positive dans le combat. Tenter de réduire les forces de libération nationale au silence, en les enfermant dans des prisons ; en martyrisant les révolutionnaires (et pour être considéré tel, il suffit qu'un musulman fasse ses prières habituelles au moment, par exemple, où un pays limitrophe fête le jour de son indépendance), les expulsant, les exilant, et propageant la peur parmi les populations africaines de l'intérieur du pays... annonçant continuellement des représailles, etc.. Nous abordons aujourd'hui la question des délateurs, à propos d'un interprète qui apparut parmi les prisonniers politiques de Cabo Delgado. Qui pourrait l'assurer ? Et les dizaines d'Africains du Sud qui sont des délateurs payés par la Pide ? Et les délateurs blancs, surtout fonctionnaires publics, qui le sont volontairement afin de faire carrière dans leurs services respectifs ? Si la corruption est un lieu commun dans les principaux centres urbains du Portugal, elle est encore plus prononcée parmi les minorités privilégiées de ses colonies. Si au Portugal continental, le slogan du régime est « Nous tous, un troupeau », et le peuple est éduqué dans une fausse conception de la culture, tandis qu'on annihile son sens critique et sa personnalité individuelle, dans les colonies l'éducation des masses est intentionnellement encore plus limitée et déformée. Il y a quelques instants, j'ai reçu la communication de mon transfert dans une autre cellule de la prison afin de m'isoler des autres. La Pide continue à exercer ses pressions sur le directeur de la prison, et à maintenir à son service, comme informateur, le chef des gardiens. Celui-ci a des espions, parmi les prisonniers |
Archival file | Volume28/CENPA-314~09.tiff |