CENPA-314~06 |
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212 PRÉSENCE AFRICAINE européens se sont débarrassés, un régime que le peuple portugais ne réussira pas à détruire tant que nombre de nations occidentales continueront à se montrer intéressées à son maintien. Car. bien qu'à une échelle réduite, le fascisme de Salazar sert les intérêts politiques et économiques de l'Occident. Maintenant, il m'est nécessaire de vivre en Europe pour pouvoir comprendre le drame actuel de ses peuples, et particulièrement des nouvelles générations. ce La " capulana » rouge et verte. » Voici le titre de l'article de fond d'aujourd'hui dans les oc Noticias », sous la signature de Montezuma de Carvalho. Je me souviens encore que Rui Knopli m'avait demandé un exemplaire de mon livre de poèmes pour le lui envoyer fin 1960. Plus tard, Montezuma m'écrivit une demi-douzaine de lettres. Dans une d'entre elles, il faisait iin éloge de mes vers, dans une autre il m'avisait qu'il avait écrit à mon sujet à Manuel Bandeira. Un jour je publierai des photocopies de ses lettres que je croyais émaner d'un ami. Quand je lui rendis visite à Inhambane, il me reçut dans sa bibliothèque. D devait être 22 h 30 quand j'arrivai. Nous n'eûmes pas le temps de parler. En fait, il me fut impossible d'établir un dialogue, car Montezuma parla de lui-même, de ses problèmes pendant quatre heures. Il critiqua la politique coloniale du « Estado Novo » qu'il rendit responsable (avec raison) de l'analphabétisme qui sévissait aussi bien parmi les masses populaires africaines que parmi les masses métropolitaines. H me parla aussi d'un essai qu'il préparait sur la poésie du Mozambique. et où mon œuvre était citée et analysée. Enfin il me proposa d'écrire la préface de mon prochain livre de poésie. Il me montra les revues littéraires qu'il recevait de Cuba, et, dans l'une d'entre elles, il y avait un grand interview de Fidel Castro. Il signala même que la censure des postes n'ouvrait ni sa correspondance, ni les paquets de livres et de revues qu'on lui envoyait. Au moment de mon départ, il me demanda d'intercéder en sa faveur à Lourenço Marques, afin qu'on le transférât de la ville de Inhambane, dont il détestait la population, à son avis tout à la fois inclute et bourgeoise, à la capitale. Un an après, Montezuma de Carvalho se rétractait dans son article d'aujourd'hui, totalement tendancieux. Mon vieil ami le Dr. Reis Costa disait, il y a quelques jours, que le premier vers des « Lusiadas » était un étalage de pièges pour un lecteur peu intelligent. Dans mes vers du « Poème à la ville », qui furent à l'origine de la saisie du livre par la Pide, et de l'accusation dont je suis l'objet de la part du Ministère Public, il n'y a pas de pièges, car ils ne se prêtent pas à plusieurs interprétations. Du reste, tout mon poème est un hymne à la paix et à l'amour. Je l'ai écrit en 1954 avec l'espoir qu'il pourrait aider à une JOURNAL DE PRISON 213 fusion plus solide entre deux cultures différentes en présence l'une de l'autre : la lusitaine et la bantoue. Seulement une interprétation tendancieuse pouvait l'avoir mené à découvrir, dans ces vers, une quelconque répudiation de la langue ou de la culture portugaise. Le fait le plus grave est que Montezuma ait publié son article au moment où je passais en jugement ; cela relève de la délation pure et simple, car son texte eût pu influencer un juge un peu borné, et subissant par ailleurs les pressions des autorités. Malheureusement, ce pays est plein d'esprits opportunistes qui attaquent quand ils se sent protégés par l'autorité établie, quand ils prévoient ou savent d'avance que le Procureur de la République n'autorisera certainement pas un procès public, pour des raisons de « nature politique ». D'autres, en plus de leur opportunisme, révèlent leur esprit vindicati- vement colonialiste. C'est le cas du journaliste Rodrigues Junior, qui, selon A.R., s'est solidarisé avec Montezuma dans son attaque contre moi. Il doit y en avoir certainement beaucoup d'autres qui. me sachant prisonnier et accusé de collaborer avec les Africains nationalistes, sont désireux de m'attaquer. Il faut que je parvienne à me dominer et à attendre sereinement le jour de ma libération. Je ne devrai pas me préoccuper outre mesure si ces éléments « ultras » continuent à se grouper par couples du style Montezuma - R. Junior. Leurs productions littéraires nous révèlent jusqu'à quel point ils s'identifient au racisme en particulier, et au fascisme en général. 29 juin 1962 : Le chef des gardiens nous a défendu aujourd'hui de continuer la série de cours que nous avions initiée, il y a un mois, dans le couloir de notre bâtiment et dont j'avais pris l'initiative. J'avais résolu d'organiser un cours d'école primaire d'une à quatre classes pour les prisonniers africains de droit commun qui passaient la journée à déambuler dans la cour sans rien faire et qui dépensaient en vin, introduit frauduleusement, le peu d'argent dont ils disposaient. Soixante-dix hommes se cotisèrent, ce qui permit d'acheter des ardoises, crayons, livres et cahiers. Dans le long corridor qui sépare les deux ailes de cellules de notre bâtiment, nous avons disposé, en rangs, les tables et les bancs destinés aux repas des musulmans, prisonniers de Droit commun. Nous, nous mangeons dans nos cellules, les prisonniers de Droit commun européens également. Quant aux Africains, c'est-à-dire la majorité de la population de la prison, ils prennent leurs deux premiers repas à l'air libre, assis par terre sous les manguiers, et le troisième assis sur le ciment de leur cellule. La plupart d'entre eux dorment enroulés dans deux couvertures à même le sol, froid et humide. 1,1111 ■■" ' ' '
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Title | CENPA-314~06 |
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Full text | 212 PRÉSENCE AFRICAINE européens se sont débarrassés, un régime que le peuple portugais ne réussira pas à détruire tant que nombre de nations occidentales continueront à se montrer intéressées à son maintien. Car. bien qu'à une échelle réduite, le fascisme de Salazar sert les intérêts politiques et économiques de l'Occident. Maintenant, il m'est nécessaire de vivre en Europe pour pouvoir comprendre le drame actuel de ses peuples, et particulièrement des nouvelles générations. ce La " capulana » rouge et verte. » Voici le titre de l'article de fond d'aujourd'hui dans les oc Noticias », sous la signature de Montezuma de Carvalho. Je me souviens encore que Rui Knopli m'avait demandé un exemplaire de mon livre de poèmes pour le lui envoyer fin 1960. Plus tard, Montezuma m'écrivit une demi-douzaine de lettres. Dans une d'entre elles, il faisait iin éloge de mes vers, dans une autre il m'avisait qu'il avait écrit à mon sujet à Manuel Bandeira. Un jour je publierai des photocopies de ses lettres que je croyais émaner d'un ami. Quand je lui rendis visite à Inhambane, il me reçut dans sa bibliothèque. D devait être 22 h 30 quand j'arrivai. Nous n'eûmes pas le temps de parler. En fait, il me fut impossible d'établir un dialogue, car Montezuma parla de lui-même, de ses problèmes pendant quatre heures. Il critiqua la politique coloniale du « Estado Novo » qu'il rendit responsable (avec raison) de l'analphabétisme qui sévissait aussi bien parmi les masses populaires africaines que parmi les masses métropolitaines. H me parla aussi d'un essai qu'il préparait sur la poésie du Mozambique. et où mon œuvre était citée et analysée. Enfin il me proposa d'écrire la préface de mon prochain livre de poésie. Il me montra les revues littéraires qu'il recevait de Cuba, et, dans l'une d'entre elles, il y avait un grand interview de Fidel Castro. Il signala même que la censure des postes n'ouvrait ni sa correspondance, ni les paquets de livres et de revues qu'on lui envoyait. Au moment de mon départ, il me demanda d'intercéder en sa faveur à Lourenço Marques, afin qu'on le transférât de la ville de Inhambane, dont il détestait la population, à son avis tout à la fois inclute et bourgeoise, à la capitale. Un an après, Montezuma de Carvalho se rétractait dans son article d'aujourd'hui, totalement tendancieux. Mon vieil ami le Dr. Reis Costa disait, il y a quelques jours, que le premier vers des « Lusiadas » était un étalage de pièges pour un lecteur peu intelligent. Dans mes vers du « Poème à la ville », qui furent à l'origine de la saisie du livre par la Pide, et de l'accusation dont je suis l'objet de la part du Ministère Public, il n'y a pas de pièges, car ils ne se prêtent pas à plusieurs interprétations. Du reste, tout mon poème est un hymne à la paix et à l'amour. Je l'ai écrit en 1954 avec l'espoir qu'il pourrait aider à une JOURNAL DE PRISON 213 fusion plus solide entre deux cultures différentes en présence l'une de l'autre : la lusitaine et la bantoue. Seulement une interprétation tendancieuse pouvait l'avoir mené à découvrir, dans ces vers, une quelconque répudiation de la langue ou de la culture portugaise. Le fait le plus grave est que Montezuma ait publié son article au moment où je passais en jugement ; cela relève de la délation pure et simple, car son texte eût pu influencer un juge un peu borné, et subissant par ailleurs les pressions des autorités. Malheureusement, ce pays est plein d'esprits opportunistes qui attaquent quand ils se sent protégés par l'autorité établie, quand ils prévoient ou savent d'avance que le Procureur de la République n'autorisera certainement pas un procès public, pour des raisons de « nature politique ». D'autres, en plus de leur opportunisme, révèlent leur esprit vindicati- vement colonialiste. C'est le cas du journaliste Rodrigues Junior, qui, selon A.R., s'est solidarisé avec Montezuma dans son attaque contre moi. Il doit y en avoir certainement beaucoup d'autres qui. me sachant prisonnier et accusé de collaborer avec les Africains nationalistes, sont désireux de m'attaquer. Il faut que je parvienne à me dominer et à attendre sereinement le jour de ma libération. Je ne devrai pas me préoccuper outre mesure si ces éléments « ultras » continuent à se grouper par couples du style Montezuma - R. Junior. Leurs productions littéraires nous révèlent jusqu'à quel point ils s'identifient au racisme en particulier, et au fascisme en général. 29 juin 1962 : Le chef des gardiens nous a défendu aujourd'hui de continuer la série de cours que nous avions initiée, il y a un mois, dans le couloir de notre bâtiment et dont j'avais pris l'initiative. J'avais résolu d'organiser un cours d'école primaire d'une à quatre classes pour les prisonniers africains de droit commun qui passaient la journée à déambuler dans la cour sans rien faire et qui dépensaient en vin, introduit frauduleusement, le peu d'argent dont ils disposaient. Soixante-dix hommes se cotisèrent, ce qui permit d'acheter des ardoises, crayons, livres et cahiers. Dans le long corridor qui sépare les deux ailes de cellules de notre bâtiment, nous avons disposé, en rangs, les tables et les bancs destinés aux repas des musulmans, prisonniers de Droit commun. Nous, nous mangeons dans nos cellules, les prisonniers de Droit commun européens également. Quant aux Africains, c'est-à-dire la majorité de la population de la prison, ils prennent leurs deux premiers repas à l'air libre, assis par terre sous les manguiers, et le troisième assis sur le ciment de leur cellule. La plupart d'entre eux dorment enroulés dans deux couvertures à même le sol, froid et humide. 1,1111 ■■" ' ' ' |
Archival file | Volume28/CENPA-314~06.tiff |